Texte écrit dans le cadre du défi créatif d'aout 2023.
Dans sa petite maison, près de Charleroi en Belgique, l’auteur mettait la touche finale à sa série de portraits de mots. Les yeux rivés à l’écran, les doigts courant sur le clavier mécanique en produisant ce son qu’il appréciait tant, même la pluie qui tombait à verses à l’extérieur et tentant de s’infiltrer par tous les interstices n’auraient pu le détourner de ces quelques lignes qui le séparaient de la fin du défi qu’on lui avait lancé.
Il devait dépeindre une scène, des personnages, une ambiance, peu importe, chaque jour de ce mois d’aout, au rythme d’un mot imposé pour chaque jour.
Aujourd’hui, c’était ce mot parfait pour conclure la série, et la décrire toute entière : portrait. Car en effet, chaque jour, il avait fait le portrait d’une histoire, d’un lieu, d’un genre… Et quoi de mieux pour terminer que de tourner son regard virtuel vers lui-même, comme un clin d’œil à ses lecteurs éventuels ?
Evidemment, il fallait que cela reste intéressant, et l’auteur se demandait, en avançant dans son travail, comment s’extraire de la simple contemplation de son nombril, et trouver la source de lumière qui révèlerait le sujet de ce texte.
Il soupira. Rien ne venait. L’inspiration était capricieuse, comme toujours. Mais il avait appris à faire sans.
Il égrenait dans son esprit ses souvenirs de chacun des portraits de cette galerie presque achevée, de l’employée au bord du burn-out à un complot terroriste contre un pouvoir oppresseur, de la peinture magique d’une simple fleur afin de lui donner vie, au dialogue entre un père et son fils à propos d’une guerre qui n’avait pas (encore ?) eu lieu. Il avait tenté de nombreux genres différents, pour ne pas (se) lasser, pour tenter de libérer sa plume du sommeil qui l’avait emprisonnée depuis tellement d’années, depuis qu’il avait choisi de la combattre.
Car écrire n’était pas sans conséquences. Chercher (et parfois trouver) la vérité de ce que l’on veut raconter implique de plonger profond en soi, non seulement pour y trouver des connaissances, mais également des souvenirs, des émotions, de vrais fragments d’âme encore bien vivaces, afin de donner vie à des mots qui ne seraient rien d’autre qu’une longue litanie autrement. Et cela ne laisse pas indemne … Les fragments d’âme vous savez, il y en a qui brûlent un peu dans le processus.
Juste un peu, vous direz-vous, ce n’est pas bien grave.
En vérité, selon desquels il s’agit, cela peut être une torture.
Et dans certains cas, une fois le processus alchimique achevé, il peut arriver qu’entre la réalité et le monstre de Frankenstein ainsi animé, il soit étrangement presque possible de basculer. Pas de fil d’Ariane pour retrouver son chemin vers soi, pas de lumière au bout du tunnel pour savoir de quel côté est la surface…
Jusqu’aux larmes, à l’étouffement … jusqu’à avoir très envie d’un verre.
Mais cela, l’auteur avait réussi à y échapper. Au prix malheureusement d’autres fragments d’âme. Car écrire est aussi bien la maladie que la cure, le « choix du diable » en quelque sorte. Entre deux maux, il faut choisir le moindre dit-on. Il avait cru que ne plus écrire ne pouvait pas être pire que la lutte permanente pour rester lui-même sans se noyer dans l’alcool.
Il avait découvert, au fil des années, que derrière cette porte qu’il avait fermée, des fragments s’étaient éteints, et un grand vide avait rempli l’espace. Insupportable.
Depuis trop longtemps il n’était plus lui-même.
Alors ce n’est pas une rose qu’il avait cherché à faire émerger d’un tableau, tout au long de ce défi. Mais cette version de lui-même complète qu’il avait abandonné sans se retourner. Pourvu qu’elle existe encore.
Pourvu qu’il ne retombe pas dans le sommeil à l’issue de cet ultime portrait.
Voilà. Les derniers mots défilent sur l’écran, un à un.
L’auteur a peur, maintenant. Que va-t-il donc advenir de lui ?
Mais bien sûr, c’est une autre histoire.
Et avec un peu de chance (et beaucoup de temps) …
Je vous la raconterai aussi.