#003 Tonia
réveil, hélicoptère, ascenseur, 7ème étage, buildings, vide, autoroute, grand-mère, ficelle, sac à main trop petit L'ensemble des listes reçues dans le cadre du projet "logorallyes", et ce que j'en ai fait jusqu'ici, est consultable ici.
Réveil difficile ce matin... 13h30 ok, ce n'est plus vraiment le matin. Mais il semblerait que j'aie encore fait la fête fort tard la nuit dernière. La chevelure blonde sur l'oreiller à côté de moi témoigne que j'étais plutôt bien accompagné... du moins vu d'ici. Je soulève le drap doucement pour juger mieux ... mmm, pas mal en effet.
Le téléphone sonne à nouveau. C'est sûrement ma
grand-mère. Il n'y a qu'elle pour insister autant. J'avance à pas mesurés, baillant et m'étirant... Et je décroche.
Evidemment elle hurle. Comme toujours. Le jour où elle me parlera normalement, il faudra que je me fasse du soucis.
Mais aujourd'hui il y a quelque chose de plus. Je ne sais pas comment, mais elle est au courant, pour ma compagne d'un soir. Elle tempête qu'il va encore falloir payer pour qu'elle se taise, comme pour les autres... que ça n'est plus possible... qu'il faut qu'elle nous voit immédiatement.
Elle a bien dit "nous" ?
Soupir...
A peine le temps de réveiller Carla (je viens de me souvenir de son nom) et de nous préparer. Evidemment, je reste évasif sur notre destination, juste "une réunion de famille". Carla est flattée, elle parle tout le temps et rit toutes les 5 secondes, ça doit vouloir dire qu'elle est ravie.
Si elle savait...
Le pilote de ma grand-mère nous attend depuis 20 bonnes minutes quand nous apparaissons enfin. L'
hélicoptère décolle, et le défilé des
buildings commence, en dessous et autour de nous... le voyage passe vite, à peine 3 minutes à vol d'oiseau jusqu'au siège de la compagnie. Une balade assez agréable, mais gâchée par mes interrogations. Que peut-elle bien nous vouloir ?
Descente de l'hélicoptère. Carla continue à parler tout le temps, et elle est déjà moins ravie. Elle n'a pas arrêté pendant le trajet, et je ne lui ai pas répondu une fois. Avec son air de reproche vivant, elle ressemble à ma grand-mère, soudain.
Avec son
sac à main trop petit qui la précède au dehors, à cause des pales de notre taxi des airs, et elle qui lutte pour le retenir, je me demande un instant qui tient l'autre
Je l'observe : talons hauts, petite fourrure très déshabillée et pratiquement rien en dessous pour le haut, la
ficelle de son string qui dépasse de son short en jeans taille extra-basse... le sac, la coiffure "dernier cri". Si on ajoute la voix haut perchée qui ne s'arrête jamais... j'avoue que là, j'ai fait fort. Ma grand-mère va en avoir pour son argent !
Nous prenons l'
ascenseur pour descendre au
7ème étage, où la secrétaire nous informe qu'Elle nous attend déjà.
Je m'attends à ce qu'elle nous reçoive tous les deux, mais il n'en est rien. Carla est emmenée presque de force vers le bureau du chef juriste de la compagnie, tandis que la secrétaire me guide vers la salle de conférence.
Où je suis accueilli par un regard de glace.
Je tente un "bonjour grand-mère", mais n'ai pas le temps de faire un pas. De sa voix tranchante, elle m'assène un "assis !" qui ne souffre aucune discussion. Je m'assieds.
Elle met la télévision posée à l'autre extrémité de la table en marche.
Et là je découvre un documentaire retraçant assez fidèlement mes soirées, et avec qui je les ai terminées, depuis trois mois que je suis ici "pour affaire".
5 minutes, puis le film s'arrête.
"Ton argent, Patrick, tu me le dois entièrement. Tu ne fais rien de ta vie, tu passes ton temps à sortir. J'ai voulu te faire venir ici pour essayer de te mettre le pied à l'étrier, et voilà comment tu me remercies ?
Je ne te parle même pas de ta femme, la pauvre... si elle savait... Tu te rappelles encore que tu as une femme, j'espère ? Ou bien ces trois mois de débauche ininterrompue t'ont complètement lobotomisé ?
Bon, tu me rassures !
Hé bien maintenant ta femme, tu vas aller la retrouver. Je viens de virer 50.000 dollars sur ton compte. Tes affaires ici ne te retiennent plus, tu rentres chez toi, et tu arrêtes définitivement de tromper ta femme, ou même simplement de sortir.
Sinon...
"
Elle laisse planer le "sinon" un instant. Je suis tétanisé. Sensation de
vide intense, à l'intérieur...
"Je n'ai pas besoin de te dire ce qui arriverait, si je décidais d'arrêter de payer. Ce n'est pas avec le salaire de Myriam que tu pourrais assumer le remboursement de ta maison de milliardaire et de vos crédits si nombreux...
Ai-je été assez claire ?"
Un signe de tête. J'ai compris. Je confirme sans un mot, et elle n'en dit pas un de plus. La porte s'ouvre sur sa secrétaire, qui attend. Je suis congédié ainsi, à l'issue d'un entretien manifestement préparé et minuté, sans avoir pu dire quoi que ce soit.
Mais de toute façon, qu'aurais-je pu dire ?
Je suis vaincu.
Je remonte par l'ascenseur vers le toit, avec Carla, hurlante, sortie en même temps du bureau du chef-juriste. On lui a fait signer un papier de non-divulgation en échange d'une forte somme. Elle s'affirme humiliée comme jamais. Le garde qui nous accompagne ne fait pas un geste pour l'empêcher de me griffer et de me gifler. Quand nous sortons enfin de l'ascenseur, je dois avoir une tête à faire peur. Mais je vois bien que lui s'amuse beaucoup.
Carla hurle toujours comme nous avançons vers l'hélicoptère. Soudain, il allume ses moteurs, les pales commencent à tourner... le sac à main s'envole, elle est trop distraite pour arriver à le rattraper. Elle se précipite, un pas, deux, trois, encore raté. Le sac passe par dessus la balustrade, direction l'
autoroute, 30 étages plus bas... dommage.
Carla se retourne, folle de rage. Je sens que je vais encore passer un sale quart d'heure. Mais soudain elle trébuche. Un de ses talons vient de casser. Le vent la fait basculer vers l'arrière, comme au ralenti...
Fasciné par l'enchaînement surréaliste des évènements, je reste sur place, et regarde Carla suivre le même chemin que son sac.
J'entends ses cris décroître, et comme j'avance finalement, j'assiste à la fin de sa chute. On ne voit pas bien, de cette hauteur. Mais je ne tiens pas à voir mieux.
Le point final de ma vie de débauché, dont ma grand-mère a scellé le sort clairement, vient d'être placé par un corps s'écrasant en bas de l'immeuble.
La page est tournée. Je monte dans l'hélicoptère, et repars vers mon appartement "de fonction". Je pense à Myriam, qui sera folle de joie de me revoir.
Le soleil est haut dans le ciel. Je souris à cette très belle journée ...