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14 août 2023 1 14 /08 /août /2023 22:00

Texte écrit dans le cadre du défi créatif d'aout 2023.

Ce texte fait suite à "Bleu" écrit également dans le cadre de ce défi, et ne peut être compris sans le lire. 


Dans son bureau au 52ème étage, un verre à la main, le président Lamar Kittrick contemplait la ville en contrebas, à peine éclairée par les projecteurs des drones qui patrouillaient jour et nuit, et les lumières des quelques immeubles encore éclairés.

Cela faisait un mois maintenant que l’attaque sur la tour avait eu lieu, et que l’ensemble de son cabinet, à l’exception de son ministre de la santé et de lui-même, avait succombé à « l’infection ».
On aurait pu penser que les troubles consécutifs à cet attentat sans précédent auraient été plus violents, préludes à un changement de régime en bonne et due forme. C’est ce que les terroristes avaient espéré, sans doute. Et pourtant, ce soir, la ville était calme. Et jamais les manifestants, même au plus fort des troubles, n’avaient réclamé son départ.

Au contraire.

Il était apparu devant la foule, en rassembleur, certes l’air épuisé et ébranlé, mais toujours à son poste, et ferme sur sa politique, qui était maintenant totalement justifiée par les évènements. Ce n’était pas un signe de faiblesse de son administration, mais au contraire, une preuve de l’ampleur de la menace que les administrations avaient gravement sous-estimée jusqu’ici, appliquant avec un laxisme complice les lois qu’il avait pourtant courageusement porté, de façon tellement visionnaire.

Son discours était sans faute. Et il avait fait mouche.

Les manifestants lui avaient immédiatement donné raison, se rassemblant principalement devant le parlement– les lois sur le partage du pouvoir plaçant les administrations sous le contrôle des députés, pas de la présidence.

Il avait donné des ordres, et son nouveau ministre de l’intérieur avait veillé à laisser les manifestations se poursuivre, dans des limites raisonnables.  Et le parlement avait fini par voter un contrôle renforcé, et de nombreuses révocations.

Et le soin de superviser les nouvelles mesures était directement confié à la présidence, les pleins pouvoirs d’urgence ayant également été votés, aujourd’hui même.

 

Tout était donc parfait dans le meilleur des mondes, pensa le président, un sourire sournois aux lèvres.

 

Certains s’étaient interrogé sur comment il était possible que le ministre de la santé et lui-même aient pu s’en sortir vivant et non infectés. Les médias avaient vite découvert qu’on les avaient vaccinés préventivement, et avaient longuement disserté sur « l’immense chance pour le pays » que « notre leader, vrai roc dans la tempête, soit encore à son poste ».

 

Bien sûr, ils n’avaient jamais reçu ce prétendu vaccin.  

 

Il vida son verre et, tendant la main, fit venir à lui la bouteille posée à l’autre bout de la pièce.

Si seulement les gens savaient, pensa-t-il en ricanant intérieurement.

Quand les recherches avaient commencé sur les « mutants », une des priorités avait été de mettre au point un moyen simple et si possible instantané de les détecter. Et le premier prototype de détecteur était vite apparu, avec les différentes teintes lumineuses selon que le sujet était sain, à risque (de maladie ou de mutation), gravement malade … ou mutant.

Blanc, jaune, rouge et bleu.

Sauf qu’il y avait à l’origine plusieurs teintes prévues pour les mutants, selon le pourcentage de mutations, la puissance potentielle évaluée selon certains critères qu’il aurait été bien incapable d’expliquer, ayant à peine compris.

Il avait juste retenu que violet était à surveiller mais pas dangereux (les sujets ne disposant manifestement d’aucune aptitude véritable et finissant par mourir de divers troubles génétiques), que du bleu foncé au bleu clair, la puissance du sujet augmentait.

Jusqu’au vert, et là, il n’y avait aucune limite connue en l’état des recherches aux pouvoirs des individus, et à leur puissance.

 

Un heureux hasard fit que Karl Lang, le scientifique responsable du développement du capteur, soit lui-même un « vert » et, argumentant qu’on n’avait pas besoin d’un système aussi complexe pour de simples détecteurs, et qu’une seule couleur, bleu marine, suffirait. Il s’arrangea pour que le détecteur classe « bleu » tous les mutants … sauf les verts, reclassés en jaune

Lors d’une visite dans l’usine fabriquant ces détecteurs, alors qu’ils n’étaient encore qu’au stade de prototypes, le - pas encore - président (simple député à l’époque, craignant que la nouvelle technologie ne le démasque un jour) se retrouva face au scientifique. Et lu la vérité dans ses pensées. Cela décida de leur avenir à tous les deux.

Débarrassé de toutes craintes sur son avenir, il put faire campagne pour la présidence sur une ligne dure « anti mutants ». Il ne les détestait pas vraiment, évidemment.

Mais il ne pouvait pas y en avoir d’autres circulant librement et menaçant son pouvoir. A part bien sûr un petit cercle de fidèles, tous « verts », œuvrant dans l’ombre à tous les niveaux du pouvoir. Il les avait repérés grâce aux puces ajoutées par Karl Lang à tous les modèles de détecteur, qui transmettaient à un serveur privé auquel ils avaient seuls accès l’identité de ces personnes. Qu’il se chargeait alors d’approcher pour en faire des alliés … ou les faire disparaître.

Non, le but était, une fois élu, de s’assurer qu’il n’y ait plus le moindre mutant hors de contrôle dans la société. Et une fois ce but atteint, il pourrait tranquillement s’assurer de ne jamais rendre le pouvoir, en usant de ses aptitudes en contrôle mental notamment pour persuader les députés de voter tout ce qui lui plairait, et dans le même temps persuader la population que tout était pour le mieux.

Le président souriait, sentant que ce moment était maintenant tout proche. Il lui fallait seulement encore un peu de temps, et l’arrestation des terroristes bien sûr. Ils avaient tous été identifiés, mais laissé libres le temps que la peur qu’ils frappent encore conduise le pays dans la bonne direction.

 

Il se tourna vers le ministre de la santé, profitant lui aussi de la vue sur la capitale.

« Un autre verre, Karl ? C’est une grande occasion il me semble !»

A quoi celui-ci répondit par la négative, lui rendant son sourire.

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14 août 2023 1 14 /08 /août /2023 08:11

Texte écrit dans le cadre du défi créatif d'aout 2023.


« Tu as l’air nerveux, Alain. Ca va aller ? »

Je regardai mon – nouveau – producteur, et me dit qu’il n’était définitivement pas fait pour ce métier. Est-ce que tu crois vraiment, petit, que c’est une question à poser à 10 minutes de l’entrée en scène ? Pas sûr que ça aide à détendre ton artiste.

Mais si la remarque vient de moi, vu mon passif, tu vas juste te dire que je pête un plomb – encore – alors vaut mieux que je me taise, pas vrai.

Mais franchement … après cette mini tournée d’été, je m’en choisirai un autre. Celui-ci, on me l’a foutu dans les pattes à mon retour, parce qu’il allait m’aider à « relancer » ma carrière. Quelle rigolade ! Y a rien à relancer, mon public m’attendait manifestement, vu la vitesse à laquelle on a vendu toutes les places de mes concerts !
 

Il sembla ne pas comprendre que mon silence voulait dire que j’avais besoin de me concentrer, et insista :

- Je te l’avais bien dit, que tu aurais dû faire au moins une répétition. Là, t’as vraiment pas l’air prêt !

- Mais qui est-ce qui m’a foutu un producteur incapable de faire la différence entre « pas prêt » et le trac ? Je croyais que tu avais de l’expérience, coco ! Alors maintenant, dégage et laisse moi me concentrer !.

 

J’aurais pu lui répondre que toute ma vie était la répétition de ce spectacle, que je répétais déjà avant qu’il soit né. Qu’après 4 mariages et autant de divorces, une dépression quasi permanente, 2 overdoses, 3 désintoxs par décennies en moyenne, 1 tentative de suicide, 1 accident de voiture presque mortel, et maintenant ce cancer des poumons, j’étais toujours revenu sans problèmes.

Que si un jour je devais ne pas être prêt, c’est que moi ou quoi que ce soit d’autre aurait finalement eu ma peau.

Et malgré tout ça, j’ai toujours un public ! ironisais-je dans ma tête, me demandant au moins pour la 1000ème fois de la journée ce que je foutais là et pourquoi ils acceptaient de payer aussi cher pour venir, sous la pluie en plus, debout pendant des heures, attendre une épave comme moi. Qu’est ce qu’ils pouvaient bien me trouver, pour m’avoir suivi toute ma carrière, tout pardonné ? Et les nouveaux fans, les jeunes, comment je pouvais les intéresser avec ma musique, pas du tout dans le style actuel ?

 

Allez, on se ressaisit et on y va !

 

Je me levai et me diriger vers la scène sans hésitation. Juste un regard et une tape dans la main à chacun de mes musiciens, un « merde » collectif, et puis nous y voilà.

La scène.

Ce soir c’est une arène avec 20.000 personnes. Pleine à craquer, et la foule en liesse. Pas de doute, ils ne se sont pas perdus, n’ont pas oublié de partir après l’artiste précédent du festival. Ils sont bien là pour moi !

Le minimum que je puisse faire, c’est de prendre plaisir à ce concert et qu’ils le voient.

J’entame le premier couplet, montant lentement vers les aigus. Ma voix ne m’a jamais lâché, et manifestement ne commencera pas ce soir.

J’arrive sur la note la plus aigüe et m’entend à peine tellement le public hurle en reprenant en cœur. Ca va être un concert génial !

J'adresse un regard rapide vers le bord de la scène, vers mon producteur – manifestement soulagé – à qui j’adresse un « fuck » bien senti qui lui fait l’effet d’un coup de poing dans la gueule. Je n’attendrai pas la fin de la tournée pour le virer, c’est au-dessus de mes forces. Je suis le seul autorisé ici à ne pas croire en moi, et encore, avec parcimonie !

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13 août 2023 7 13 /08 /août /2023 10:58

Texte écrit dans le cadre du défi créatif d'aout 2023.


 Scotty, énergie ! Ta chambre ne va pas se ranger toute seule.

Scott leva un œil blasé vers sa mère, qui venait de faire irruption sans même frapper.

- Ahah, hilarant maman. T’inquiète, j’adorerais te téléporter ailleurs si je pouvais. Ca m’éviterait tes références pourries !

- Pas si pourries que ça, vu que tu les comprends ^^

Scott soupira. Inutile de chercher à avoir le dernier mot, c’était peine perdue.

Il regarda sa mère, qui commençait déjà à ramasser par terre certains de ses livres. Quand elle s’y mettait, c’était un véritable ouragan, pour qui « ranger » signifiait surtout « mettre à un endroit où plus personne jamais n’aurait l’occasion de poser un œil dessus ». Il valait donc mieux qu’il s’en occupe lui-même avant qu’elle fasse des dégâts irrémédiables.

Il ferma son manga, se leva de son lit, récupéra à la volée la pile de livres que sa mère tenait déjà en main, et commença à les ranger dans l’armoire.

Il se retourna et s’apprêtait à en ramasser d’autres quand il se rendit compte que quelque chose clochait. Annie, sa mère, était généralement une boule d’énergie et de bonne humeur inépuisable, jamais à l’arrêt, jamais à court de mots ou de gestes pour motiver et pousser les gens autour d’elle à se dépasser. On aurait pu croire que son sourire avait été gravé sur son visage dès la naissance car, même en l’observant quand elle se croyait seule, il ne l’avait jamais vue sans. Il ne l’avait jamais vue non plus autrement que parfaitement maquillée MAIS les cheveux perpétuellement en bataille, à force de courir dans tous les sens.

Et là, non seulement elle avait arrêté de bouger et le regardait fixement, mais on aurait dit que son sourire sonnait faux. Le mascara semblait avoir légèrement coulé autour de ses cheveux, qu’elle avait rassemblé en un chignon absolument impeccable mais totalement affreux, et certainement pas du style de cette femme qui aimait affronter la vie les cheveux libres.

- Ca va, Maman ?

Annie sursauta, le regarda en semblant ne pas comprendre, puis fit « oui » de la tête en pinçant les lèvres, et sortit de la pièce précipitamment.

Quelque chose n’était décidément pas normal, et Scott la rejoint au salon, où elle s’était immobilisée, silencieuse, une main à hauteur de sa bouche … « mais … elle n’est quand même pas en train de pleurer ? »

« Maman ? »  insista Scott

Elle sursauta encore, se retourna, les larmes lui coulant sur les joues.

Il comprit. Ils n’étaient de nouveau plus que tous les deux.

 

Il prit sa mère dans ses bras sans un mot, et ils restèrent un long moment ainsi, sans rien dire. Puis, il se dégagea doucement, afficha le même sourire dont elle avait fait son arme  de prédilection, et, un bras autour d’elle, la fit s’assoir dans le canapé.

Il s’agita alors dans la cuisine, tout en chantonnant certaines des chansons préférées de sa mère, qu’elle entendit bientôt lui répondre. Il lui prépara un cappucino, ajouta un cœur en mousse sur le dessus, disposa sur le plateau quelques biscuits comme elle les aimait tant, et vint s’assoir à ses côtés, en chantant plus fort.

Ils passèrent une heure assis là, sans autre parole que celles des chansons de Jean-Jacques Goldman que sa mère aimait depuis son enfance. Elle avait posé sa tête sur l’épaule de son fils et les larmes avaient cessé de couler.

Et puis d’un coup, comme si on avait subitement basculé l’interrupteur, elle se tourna vers lui, son sourire de nouveau là, et lui murmura à l’oreille.

« Ne crois pas que tu vas échapper au rangement pour autant ».

C’était tellement décalé que Scott éclata de rire, puis elle aussi.

« Je sais Maman, je sais. »

Et ils retournèrent tous les deux vers la chambre où ils s’activèrent longuement, en chantant encore et en s’envoyant des vannes, comme si rien n’était arrivé, comme si tout allait bien en somme.

 

Et c’était le cas, bien sûr. Ou en tout cas ça le serait bientôt.


Comme elle le lui disait souvent, si on bouge assez vite, si on met assez d’énergie à ce qu’on fait, il arrive que la tristesse et toutes les choses négatives de la vie ne nous rattrape pas.

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12 août 2023 6 12 /08 /août /2023 03:16

Texte écrit dans le cadre du défi créatif d'aout 2023.


Inspiré (librement) par l’artiste Banksy, et par un épisode de la série télévisée  « La défense Lincoln »

- Je vous avoue ne pas savoir ce que nous faisons là aujourd’hui, votre honneur.
Entendez-moi bien : mon client ne nie aucunement être l’auteur du graffiti – au sens légal - réalisé sur le mur d’angle de la boutique du plaignant. Il a été identifié par la reconnaissance faciale, qui reste illégale, d’autant plus illégale que l’identification s’est appuyée sur un fichier de la police auquel le propriétaire de la boutique n’aurait pas dû avoir accès, et dans lequel mon client n’aurait jamais dû figurer – il a été contrôlé, jamais arrêté - . Mais peu importe, cela concerne une autre cour, où je ferai valoir avec férocité les droits constitutionnels de mon client.

Pour en revenir à ce graffiti, il a été proposé au plaignant de prendre en charge la remise en l’état du mur, ou les frais de celle-ci s’il souhaitait passer par une société de nettoyage qu’il aurait lui-même choisi. Les photos et vidéos, où n’apparaissent pas l’enseigne, seulement l’œuvre signée « Trojan », et la couverture médiatique que celle-ci a reçu, suffisent à la préserver.

Seulement le plaignant n’a jamais voulu négocier. Il voulait absolument faire un exemple. Et nous voilà donc …

- Oui votre honneur, nous voilà donc ! En effet, mon client voulait faire un exemple, c’est le terme juste, même s’il n’est pas question bien sûr de se faire justice lui-même. Le mur vandalisé par ce graffiti a nécessité une « remise en état » comme mon confrère le mentionne, pas moins de 57 fois durant l’année écoulée ! Et il n’a jamais été possible de faire payer les auteurs, parce que même s’ils étaient visibles sur les images de caméra, ils n’ont jamais été identifiés !

Alors désolé, mais là en effet, votre client sert d’exemple, d’autant qu’il signe ses « œuvres » mais en se cachant derrière un pseudonyme. Mais puisqu’il se permet de ne pas respecter la propriété d’autrui, mon client a décidé de ne pas avoir plus de respect pour cet « anonyme célèbre » et de l’exposer pour ce qu’il est : un vandale, un activiste cherchant à nuire à l’image des gens dont il souille les façades.

Parce que franchement, cette représentation d’un asiatique saignant, et dont le sang irrigue une veste d’un modèle aisément reconnaissable vendu par mon client dans sa boutique – une veste justement rouge sang, si ce n’est pas une atteinte à l’image, je ne sais pas ce que c’est !

La juge suivait les échanges avec attention, mais décida soudain de marquer son agacement face au ton de plus en plus « appuyé » des échanges.

- Maître, je vous rappelle qu’il n’y a pas de jury ici. Et cela vaut pour les deux parties ! Vous êtes dans mon bureau, et j’entends que les débats restent calmes et courtois.

La séance continua dès lors sur un ton plus mesuré.

- Si je puis me permettre, votre honneur … mon confrère soulève quelques points intéressants dans ses propos.

Notamment sur le nombre affolant d’actes de vandalisme que son mur a eu à subir. Des graffitis de tous genres, mais le plus souvent de simples sigles de gangs ou de graffeurs, ou de messages fleuris dans un orthographe approximatif. Jamais un dessin de ce genre.

Mais surtout, je tiens à faire remarquer que depuis maintenant 4 mois que mon client a signé son œuvre, le nombre de dégradations à cet endroit est tombé à … 0.

Je n’affirmerai bien sûr pas que les autres graffeurs se tiennent tranquilles par « respect » ou une forme quelconque d’affiliation ou de complicité avec mon client. Mais l’attention portée à l’œuvre, de jour comme de nuit, par une foule de curieux et d’amoureux de l’art, a rendu plus difficile pour ces personnes de passer inaperçu, sans doute.

Sur un autre point … si l’œuvre de mon client est tellement préjudiciable, pourquoi ne pas avoir fait nettoyer le mur dès le lendemain, comme dans les autres cas mentionnés ? C’était votre droit le plus strict ?

- Mon client reconnait évidemment ce dessin comme « œuvre d’art unique » et ne voulait pas faire l’objet d’une campagne de dénigrement en cas de destruction de celle-ci !

- Quelle marque de respect ! Ou bien est-ce là une tentative d’augmenter artificiellement la somme demandée pour atteinte à l’image, en prolongeant la dite atteinte ?

L’avocat de la défense affichait un rictus sarcastique, et la juge s’énerva vraiment

- Que vous ai-je dit précédemment, maître ? Pas de ça ici ou je vous condamne pour outrage, c’est bien compris ?
- Oui votre honneur.
- Bien. Poursuivez, mais soyez prudents.

L’avocat de la défense se reconcentra un instant en compulsant ses notes, puis il reprit.

- Concernant la supposée « atteinte à l’image » … si elle était avérée, cela devrait se voir dans le chiffre d’affaires du magasin pour la période concernée, il me semble. Or, d’après les chiffres dont je dispose, il aurait augmenté de + de 50% pendant la période concernée, ce qui, même en comptant la nouvelle collection qui venait de sortir, représente un bond spectaculaire jamais réalisé auparavant. D’autant que, toujours d’après les chiffres en ma possession, l’augmentation est continue depuis 4 mois. Alors où est le préjudice ?

- L’artiste avait l’intention de lui en causer un. Le fait qu’il ait échoué n’enlève rien à la gravité des faits !

- L’intention … oui en effet, on doit juger les accusés autant sur ce qu’ils ont fait que sur ce qu’ils avaient l’intention de faire, même si la loi prévoit dans ce cas une gradation appropriée des sanctions.
Mais quelles étaient donc les intentions de mon client, sinon interpeller sur les conditions de travail dans les pays où se fabriquent les vêtements tels que ceux vendus par le plaignant ? Qu’ils étaient donc réalisés avec « le sang et la sueur » des travailleurs. En ce sens, on pourrait voir cela comme une attaque contre la boutique … sauf que rien dans le dessin n’implique que les vendeurs y soient pour quelque chose !

Et personne n’a fait ce lien d’ailleurs ! Il n’y a pas eu de manifestations organisées devant la boutique, par des activistes pourtant prompts à agir dans ce genre de cas, pour profiter de l’attention portée par les médias. Pas de dégradation de la boutique, pas de menaces notables signalées par le plaignant …

- Et pour cause, cher confrère ! Mon client a toujours revendiqué des conditions de travail équitable pour les travailleurs chez ses sous-traitants, quel que soit le pays. C’est une implication forte qui lui a valu une grande reconnaissance ! C’est d’autant plus injuste que votre client s’en prenne ainsi à lui !

- Mais pourquoi aurait-il voulu s’en prendre à lui, justement ? Pensez-vous que Trojan, dont la démarche a toujours été de lancer le débat mais en l’orientant dans la bonne direction, se serait complètement trompé de cible cette fois ?

Ou bien ne pourrait-on pas imaginer plutôt qu’il ait voulu justement se servir de la réputation très égalitaire et parfaitement reconnue du plaignant, qu’il ait en quelque sorte voulu reconnaître son influence positive dans le domaine, en faisant passer le message à travers cette œuvre qu’il fallait redoubler d’effort, que le combat n’était pas fini ?

Et puis, vous avez manqué un détail de l’œuvre …
L’homme saigne, mais il sourit et se tient debout fièrement.
 

En arrière-plan par contre, on voit un enfant au sol, vidé de son sang, qui lui a irrigué un autre type de vêtement non vendu par votre client !

On pourrait donc penser que Trojan a voulu, dans son dessin, reconnaitre que votre client améliorait les choses, même si cela reste imparfait. D’ailleurs, il ne le nie pas, puisqu’il a récemment déclaré dans une interview qu’il « intensifiait la lutte contre toute forme d’exploitation des travailleurs chez ses sous-traitants ».

Je pense que le plaignant a parfaitement conscience que l’œuvre de mon client le valorise. Voilà la vraie raison pour laquelle il n’a pas fait nettoyer le mur.

La juge attendit d’être sûre que les avocats avaient terminé, mais il semblait bien que l’accusation n’avait pas l’intention de répliquer.

- Bien. Le moins qu’on puisse dire est que cette affaire donne matière à réflexion.

D’un coté nous avons un graffeur qui ne nie pas ses œuvres, les signe, en tire une notoriété – même sous pseudonyme – qui lui a valu de nombreux et lucratifs contrats de diffusion pour des documentaires sur son œuvre, sa démarche artistique, politique et citoyenne … on en a même fait des livres, des films, on s’en est inspiré dans des épisodes de série … de manière suffisamment transparente pour que cela lui rapporte des droits.
il reconnaît donc faire quelque chose d’illégal au terme de la loi, que ce n’est pas la première fois, et en tirer un bénéfice qu’on pourrait qualifier d’important.

De l’autre, nous avons un commerçant, légitimement excédé par les dégradations répétées de sa façade, au point de violer la loi pour tenter d’y mettre fin … un commerçant cependant qui décide cette fois de ne pas nettoyer le mur et semble profiter de la situation. Sans que cela ne rapporte rien directement à l’artiste, sinon une amélioration de son image déjà très reconnue.

Et comme son identité ne sera pas révélée, vu que j’ai accepté que cette affaire soit jugée selon le principe du « huis clos », cette image ne sera pas éventuellement dégradée.

Dans un monde idéal, les deux parties auraient du réussir à s’entendre par contrats pour préserver l’œuvre et peut être même que l’artiste y gagne un pourcentage sur les surprofits du magasin – mais cela, il ne le souhaitait pas, ce n’était pas sa démarche…

Dans le monde où l’on vit, si le plaignant maintient sa plainte, je me dois de condamner l’accusé à une amende forfaitaire pour la dégradation du mur.
Je rejette par contre l’accusation de préjudice d’image. Il n’y a ni préjudice, ni d’intentions, cela a été clairement démontré.

Je devrais aussi, normalement, condamner l’accusé à acquitter la facture éventuelle de remise en état si le commerçant décidait que finalement il ne veut plus de cette publicité, et la procédure serait close.
Mais comme les deux parties, ainsi que le grand public, les médias, les critiques spécialisés … sont d’accord sur le statut d’œuvre unique, que la paternité de cette œuvre n’est pas contestée, et que le plaignant a décidé POUR LA PRESERVER de ne pas remettre en état … je dois donc m’interroger sur la propriété de l’œuvre.

Et tout dans ce dossier me dit que le plaignant, parce qu’il a décidé d’attaquer en justice, ne voulait pas de cette œuvre, et n’en veut toujours pas – il ne l’aurait préservée, ai-je entendu, que pour éviter un lynchage médiatique.

Elle appartient donc légalement à l’artiste, même si le support lui, appartient au plaignant.

Pour résoudre cela, il pourrait être décidé que l’artiste loue le mur. Mais les bénéfices extraordinaires réalisés par le plaignant me semblent, quelque part, avoir couvert un tel loyer pour de nombreuses années.

Je prononce donc une interdiction pour le plaignant de détruire, par quelque procédé que ce soit, l’œuvre de l’artiste, à moins de disposer de l’autorisation écrite de celui-ci ou de son représentant légal. Et j’encourage vivement le plaignant à résoudre le problème en achetant l’œuvre en bonne et due forme.

Je lève la séance.

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10 août 2023 4 10 /08 /août /2023 20:00

Texte écrit dans le cadre du défi créatif d'aout 2023.


- Regarde Papa, le monument ! C’est pour les héros tombés au combat, c’est la maîtresse qui nous l’a raconté. Il y avait des méchants qui vivent loin d’ici qui voulaient venir chez nous pour tout prendre et tout casser, alors nous on a envoyé des gens pour les empêcher et les forcer à rentrer chez eux. Mais les méchants ils n’ont pas voulu comprendre alors il a fallu se battre, et puis il y en a qui ne sont pas revenus…

- Oui mon fils, c’est comme ça que me l’a raconté aussi, quand j’étais à l’école. Mais je ne sais pas si ta maîtresse t’a expliqué qu’il y a toujours deux versions à une histoire…

- Mais Papa, la vérité c’est la vérité !

- Oui en effet, et il faut toujours dire la vérité !

Mais selon les conditions dans lesquelles tu vis, ce qu’on t’a appris, ce que tu ressens profondément en toi, ce que tu appelles « vérité » peut être différent.

- Qu’est-ce que tu veux dire, papa ?

- Que quand on raconte cette histoire aux enfants, là-bas, ce n’est sans doute pas la même que celle que ta maîtresse t’a raconté. Et qu’elle n’a pas menti pour autant.

- Je ne comprends pas …

- Ne t’en fais pas mon grand. C’est quelque chose de compliqué, que même les adultes ont du mal à comprendre.

Ce que nous appelons vérité n’est jamais que la partie de l’histoire que nous sommes préparés à voir, à croire. Mais la réalité est souvent bien plus complexe.

Par exemple, pour cette guerre, t’a-t-on expliqué que ceux que tu appelles les méchants vivaient dans une région qui a été ravagée par les changements climatiques ? Des tempêtes ont détruit leurs maisons, la chaleur a brûlé le sol et ils n’ont plus eu de récoltes. L’eau est venue à manquer. Et ils ont bien du partir pour essayer de trouver un endroit où ils pourraient vivre. Tu trouves ça méchant ?

- Non Papa, c’est très triste.

- Oui en effet. Et ces gens, pendant leur voyage, sont passés par beaucoup d’endroits où on n’a pas voulu d’eux, parce que les gens avaient peur, si on partageait avec eux, que ça donne l’idée à d’autres de venir, et qu’à la fin il n’y ait plus assez pour tout le monde là non plus.

Alors ils sont allés ailleurs, et encore ailleurs. Mais ils étaient fatigués, et ils avaient faim et soif, et froid aussi parce qu’ils dormaient par terre la nuit.

- Mais pourquoi c’était comme ça Papa ? Pourquoi personne ne les aidait ?

- Par peur, par préjugés, par racisme … on t’a expliqué ce que c’est, le racisme ?

- Oui, Papa.

- Bien. Mais un jour, des gens – on les appelait des terroristes - sont venus aider ces personnes qui mouraient de faim et de froid. Ils leurs ont donné de la nourriture, de l’eau. Ils leur ont aussi dit que tout cela c’était notre faute, avec la pollution, puis la surconsommation chez nous qui les rendaient pauvres, eux, parce que tout ce qu’ils avaient, on le leur prenait.

Et ça aussi c’était la vérité, en somme.

Alors ils se sont énervés contre nous et ils ont décidé que puisqu’on leur avait tout pris, ils allaient venir nous en reprendre une partie. Les terroristes leur ont donné des armes et leur ont dit où aller. Et la guerre a commencé.

Nous, on nous disait que c’était la guerre contre le terrorisme.

Eux, c’était pour reprendre aux voleurs ce dont ils avaient besoin pour survivre.

- Mais alors, personne n’avait raison ?

- D’un certain point de vue, tout le monde avait raison. Et tout le monde avait tort. La réalité était plus complexe, et personne n’a voulu le comprendre, jusqu’à ce qu’il ne soit plus temps d’expliquer.
Au final, les gens qui mouraient de faim sont morts au combat, et chez nous, des gens qui n’avaient jamais rien volé à personne ni voulu le moindre mal à qui que ce soit sont morts quand même.

La guerre ne résous jamais rien, au contraire. Elle fait pire.

- … et donc, ce monument qui célèbre nos héros … c’est un mensonge ?

- Oui et non … c’est notre version de la réalité.

C’est vrai que si personne n’avait arrêté les gens en colère qui venaient avec des armes, les choses auraient été encore pire. Ceux qui l’ont fait, et qui ont laissé leur vie pour protéger tous les autres, sont bien des héros.

Mais ceux qui sont morts, de l’autre côté, avaient de bonnes raisons d’être en colère, même s’ils ont été manipulés. De leur point de vue, ils avaient raison aussi.

Le mensonge, c’est la guerre, et le fait qu’elle était soi-disant « inévitable ». Que nous avons eu raison de la faire, et que nous avons « gagné ».

Nous avons été les plus forts.

Ca ne veut pas dire que nous avions raison.

L’enfant semblait complètement perdu, et son père s’interrompit. Il continua finalement.

- Le but d’un monument, c’est de nous faire connaitre l’histoire, les choses qui se sont passées parfois bien avant que nous naissions. Ce n’est jamais mal de venir se recueillir devant un monument, jamais. Mais ce qu’il faut, c’est que tu cherches par toi-même, dans les livres par exemple, les sources fiables en tout cas, l’histoire COMPLETE, que tu ne t’arrêtes pas à une version. Tu comprends ?

L’enfant sembla soudain plus assuré

- Comme dans l’encyclopédie qui est à la maison ?

- Oui, par exemple ! Tu dois aussi savoir qu’il y a des historiens, des chercheurs, qui continuent à essayer de comprendre ce qui s’est passé dans l’histoire, pour cette guerre et pour beaucoup d’autres évènements. Il y a des choses qui n’ont pas été dites à l’époque, cachées, et qu’on redécouvre seulement, peu à peu.

L’histoire peut changer avec le temps ! Tu dois te tenir au courant.

- Je veux rentrer à la maison lire l’encyclopédie Papa !

Le père sourit.

- Tu ne préfères pas aller manger une glace d’abord ?

- Siiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !

Et l’enfant se mit à courir, joyeux.


Mais ce n’est pas de la glace qu’il se souviendrait, plus tard, quand il aurait lui-même des enfants. Il n’oublierait jamais ce que son père avait cherché à lui expliquer ce jour-là.

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