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18 août 2023 5 18 /08 /août /2023 17:16

Texte écrit dans le cadre du défi créatif d'aout 2023. Il répond également à la proposition 9 de Ecriture Créative, atelier d'écriture en ligne.


Je n’étais plus montée dans ce grenier depuis mon enfance. Et même à l’époque, je n’avais pas dû y pénétrer plus de 3 fois, qui s’étaient toutes terminées par une engueulade.

Je n’étais pas chez moi, ce n’était pas mes affaires, je n’avais pas le droit d’être là ni de toucher à tout comme ça…

Je me l’étais tenu pour dit, et même maintenant qu’Ethel était décédée, me léguant de façon incompréhensible la maison et tout ce qu’elle contenait, je n’osais pas passer la porte et monter la rampe. J’étais sûre que sa grande main d’ancienne boulangère allait m’agripper par derrière pour me faire redescendre, avant de me gratifier d’une fessée bien sentie.

J’en avais souvent reçu, dans mon enfance, de sa main ou de celle de ma grand-mère, qui m’avait élevée courageusement après le suicide de ma mère (alors que je n’avais que 2 mois). Mon père, je ne savais rien sur lui, sinon qu’il l’avait quittée avant de savoir qu’elle était enceinte. Elle avait voulu croire qu’il reviendrait, et qu’en l’apprenant il ne la quitterait plus. Mais elle avait fini par perdre espoir.

J’avais donc été élevée par une grand-mère pour qui je n’étais que le produit d’une relation « pas convenable », et une tante qui semblait me détester quoi que je fasse, et ne ratait pas la moindre occasion de me le faire sentir. Peut être me reprochait-elle la mort de sa sœur ?

Mais alors, pourquoi faire de moi son héritière ? Après tout, j’avais encore un oncle – que je ne voyais quasi jamais, même dans mon enfance - qu’elle adorait, et il avait trois enfants. Mais eux n’avaient rien reçu.

 

J’avais pensé que peut être la visite de la maison m’éclairerait un peu sur ce qu’Ethel pouvait bien avoir eu en tête dans les derniers temps. Mais tout était exactement comme je m’en rappelais, la dernière fois que j’étais venue ici, 15 ans auparavant. C’était le jour du décès de ma grand-mère, et j’avais tenté de faire la paix et d’établir une relation avec elle.

Elle m’avait reproché d’avoir toujours été une enfant trop turbulente, insupportable, d’avoir épuisé ma grand-mère avant l’heure. J’étais partie en claquant la porte.

Quelque chose m’échappait.

 

Je pris ma respiration et commençai à monter les marches, en les comptant dans ma tête, un, deux, trois, comme quand je montais un escalier étant enfant … Il y en avait exactement 9, je m’en souvenais. Et je débouchai dans cette grande pièce aux poutres apparentes, dans la pénombre et la poussière.

Elle était beaucoup plus dégagée que dans mes souvenirs. J’avais su par mon oncle que, quelques années auparavant, se croyant malade, elle avait entrepris de « mettre de l’ordre » pour ne pas laisser trop de travail le jour venu. Elle ne s’était trompée que de peu, ce qui n’était alors qu’un trouble mineur ayant évolué peu à peu pour finir par venir à bout de cette femme déterminée, qu’à l’époque je croyais indestructible.

 

Je déambulai sans buts quelques minutes dans les allées. Je ne savais pas bien ce que je faisais là. Mon oncle passerait le lendemain pour reprendre quelques souvenirs. Il m’avait demandé mon accord, timidement, comme si je risquais de refuser. Après, le reste partirait au vide grenier, et le contenu des autres étages suivrait. Je ne voulais rien récupérer ici, rien n’était à moi ni ne me rappelait quoi que ce soit.

J’étais définitivement une étrangère dans cette maison.

 

Soudain, mes yeux se posèrent sur un vieux coffre, dont la serrure semblait avoir été forcée. Ce qui m’intrigua le plus est que cet objet était le moins poussiéreux de la pièce, comme s’il avait encore été ouvert récemment.

Curieuse, je soulevai le couvercle, qui bascula dans un grincement réprobateur.

A l’intérieur, une photo. Je reconnus instantanément ma tante, ma mère, et son fiancé d’alors, qui l’enlaçait tendrement.

Mon père.

Je n’avais jamais été curieuse de cet homme qui avais choisi de quitter ma mère à un mois du mariage prévu. Et si je savais à quoi il ressemblait, c’est que j’avais déjà vu cette photo, en venant rendre visite à ma tante quand j’avais 8 ans. Elle avait rassemblé bien vite les papiers qui jonchaient la table de la salle à manger, mais j’avais eu le temps de la voir, de reconnaître maman, et de poser la question.

Ma grand-mère m’avait confirmé, la bouche pincée, qu’il s’agissait bien de mon père. Qu’il avait fait beaucoup de mal à ma mère avant de partir, et bon débarras !

Etonnant que Ethel ait conservé cette photo …

Je vidai peu à peu le coffre. Il y avait d’autres photos des deux sœurs, avec des personnes que je ne connaissais pas. Une photo avec mon oncle. Des copies de diplômes, des coupures de journal pour des remises de prix, des billets de concert. Quelques enveloppes sans nom d’expéditeur, toutes adressées à ma tante… et toutes vides.

Et puis, tout au fond du coffre, une enveloppe qui n’avait pas été ouverte. Et la mention du destinataire me figea sur place.

Aux bons soins de Ethel Coën … à l’intention de Marie.

 

J’étais confuse. Je ne connaissais pas suffisamment la vie de ma tante pour être sûre que j’étais la seule Marie qu’elle connaissait. Mais pour quelle autre personne aurait-elle reçu une lettre ? Quelque chose au fond de moi était convaincu que cette enveloppe était pour moi, et avait volontairement été laissée fermée, enterrée au fond de ce coffre.

Cela semblait irrationnel, jusqu’à ce que je retourne l’enveloppe et que je reconnaisse, de l’écriture de ma tante, ces quelques mots : « Je te demande pardon, Marie. »

 

Je déchirai l’enveloppe, la tête tournant et les larmes me montant aux yeux sans pouvoir expliquer pourquoi, et dépliai la lettre.

 

A l’intention de Marie Coën, de la part de Marc Toledano.

Ma chère fille,

Si un jour tu lis cette lettre, je suppose que tu seras adulte, et peut être même Ethel ne sera plus là pour t’expliquer. Jacqueline, ta grand-mère, ne voulant plus entendre parler de moi, ni que je sois présent pour toi d’aucune façon, je ne peux qu’espérer qu’un jour, mes mots te parviendront et que tu sauras ainsi enfin la vérité.

J’aurais tellement aimé faire partie de ta vie, que j’ai suivi de loin, du mieux qu’il m’a été possible, par le peu qu’Ethel a bien voulu m’en écrire. Mais j’ai dû me contenter d’être cet homme qui avait quitté ta mère sans même savoir que tu existais, la poussant au suicide.

Il ne se passe pas un jour sans que je regrette la façon dont les choses se sont déroulées.

Mais la vérité était que nous n’étions pas heureux elle et moi, que nous attendions de la vie des choses bien différentes. Je n’étais pas non plus le seul homme auquel elle s’intéressait à l’époque, et si l’on t’a dit que nous étions fiancés, sache que c’était surtout elle qui m’appelait ainsi pour parader devant ses amies. Le jour où je l’ai quittée, après une dispute très violente, elle partait retrouver un autre homme.

J’ai croisé Ethel, et je lui ai tout raconté. Nous avons beaucoup parlé, cette nuit-là, puis dans les semaines qui ont suivi, devenant peu à peu … plus proches. Autant qu’il est possible pour un homme et une femme.

Laura, de son coté, était jalouse. Elle avait quitté son nouveau « fiancé » et ne supportait pas de me voir tourner autour d’Ethel. Elle faisait tout ce qu’elle pouvait pour nous séparer, racontant des mensonges à leur mère.

Quand je demandai Ethel en mariage, sa mère refusa et m’ordonna de partir, me menaçant du pire si j’osais revenir un jour.

Mais ne lui en déplaise, je ne perdis pas contact, tentant de convaincre l’amour de ma vie de partir avec moi. Mais elle tenait trop à sa famille pour s’enfuir. Et les choses restèrent ainsi.

Jusqu’à ce qu’elle découvre qu’elle était enceinte de toi.

J’imagine le choc que ces mots doivent provoquer en toi. L’ampleur du mensonge est immense, et crois bien que j’aurais tout fait pour que tu n’aies pas à le vivre. Mais la vérité est là : Ethel est ta mère. Et comme elle n’était pas mariée, Jacqueline refusa qu’elle élève cet enfant « impur » dans sa morale décadente, et décida de l’élever elle-même. Ethel plia devant la volonté de ta grand-mère (tu sais qu’on ne pouvait pas facilement lui dire non).

Peu de temps après, Laura, rendue folle par l’annonce de la grossesse, et qui avait du séjourner quelques temps chez une lointaine cousine pour « se reposer », revint à la maison, dans les jours qui précédèrent ta naissance.

Ce fut plus qu’elle ne pu en supporter. Tu connais cette part de l’histoire, sauf que cela ne se passa pas « des mois après ».

Tu naquis discrètement à la maison, Ethel aidée d’une sage-femme. Sur les papiers, on déclara que tu étais la fille de Laura, décédée deux jours avant, et que son suicide avait retardé les formalités.

Aux yeux de ta grand-mère, le suicide de Laura était maintenant ma faute (parce que je l’avais quittée après l’avoir mise enceinte), et Ethel pouvait vivre sa vie sans honte.

Elle m’écrivit pour me mettre en garde : si Jacqueline me voyait, elle m’accueillerait le fusil à la main.

On te fit école à la maison, tu ne t’en éloignais jamais sans être surveillée par ta grand-mère … je ne pouvais pas approcher.

C’est donc pour cela que je me décide à écrire cette lettre.

Tu pourrais, bien sûr, ne pas en croire un seul mot.

C’est pourquoi j’y joins celle d’Ethel, m’annonçant ta naissance dans des termes très clairs. Tu reconnaitras sans doute son écriture.

 

 

Les yeux noyés de larmes, Je ne pus continuer la lecture, mon père se perdant en excuses pour ne pas avoir osé malgré tout … je ne voulais pas connaître ses sentiments, c’était au-dessus de mes forces.

Cette lettre était sans tact, violente de toutes les façons.

Après un long moment à tenter de reprendre mes esprits, une pensée me vint, et je repris le contenu du coffre, un papier à la fois, jusqu’à la notice nécrologique que je croyais avoir vu passer.

Marc Toledano, mon père. Mort 3 ans plus tôt. Laissant derrière lui 4 enfants et 9 petits enfants.

Une belle grande famille que je découvrais sur papier et dont j’ignorais tout, je n’avais même pas la moindre adresse. Et puis, aurais-je vraiment envie de prendre contact ?

J’étais complètement perdue.

 

Ce qui était sûr, par contre, c’est qu’il allait me falloir plus de temps pour décider quoi faire de la maison et de ce qu’elle contenait.

Je descendis l’escalier et tout ce sur quoi mon regard se posait était nouveau, comme si j’étais passée du noir et blanc à la couleur.

Je passai beaucoup de temps dans la maison, les semaines qui suivirent, seule ou avec mon oncle.

Il savait tout, mais ma grand-mère l’avait menacé s’il disait quoi que ce soit. Alors il avait pris ses distances. Et même après sa mort, il avait gardé le silence, pensant qu’Ethel finirait par tout me dire.

Nous nous rapprochâmes beaucoup.

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