Texte écrit dans le cadre du recueil "Chemin de rêves"
Première publication le 08/11/2008
07 - 28/09/2007 - Mots imposés (de Angeline)
mur / début / icarien / bleu / tiraillement / germon / obligeance / enclave
encombrer / hermine / pif / lytique / kidnapping / progrès / rousseur
J'ai choisi de les placer dans l'ordre de la liste.
Je n'avait plus qu'un mur à franchir, et je serais libre. Je savais que ce ne serait que le début, bien sûr, mais au moins n'aurais-je plus à faire semblant de vouloir devenir un nouvel icarien (1) , à m'habiller intégralement de bleu, et à résister aux tiraillements intérieurs de mon être pour ne surtout pas éveiller les soupçons. Ici, il y avait beaucoup de règles à respecter, mais la principale était de toujours afficher la plus grande joie de faire partie du projet, même et surtout si on n'avait pas choisi de venir.
En effet, Louvier ne supportait pas qu'on ne respecte pas la confrérie du Germon (2), et son obligeance, à sa juste valeur. Il répêtait à l'envi qu'il ne voulait que rendre service, en éveillant le plus de gens possibles à la conscience, avant qu'il ne soit trop tard.
Ainsi, il sélectionnait à travers tout le pays des jeunes prometteurs, et les faisait enlever pour les amener dans son manoir, enclave en terrain hostile comme il aimait à le décrire. L'ennemi ce n'était pas lui, mais le monde qui nous avait fait tels que nous étions, et dont il voulait nous délivrer.
Il ne s'encombrait d'aucune autre considération morale, et ceux qui contestaient sa vision finissaient invariablement par quitter le groupe, de la seule façon que Louvier acceptait : par une cérémonie de mise à mort, suite à laquelle on recouvrait le corps d'un drapeau représentant l'hermine, symbole de la Bretagne, où nous nous trouvions sans doute. Mais comment en être sûr ?
Depuis quelques temps, Louvier délaissait le groupe, relâchant son attention, préoccupé qu'il était par la santé de son chat, le seul être au monde auquel il vouait de l'amour. La pauvre bête souffrait de la PIF (péritonite infectieuse féline) et n'en avait plus pour longtemps. Sa souffrance était insupportable à Louvier, qui semblait par instant ne plus trop savoir qui nous étions.
Dans un groupe d'une nature telle que le nôtre, l'absence du chef a rapidement un effet lytique (3) sur la cohésion, vu qu'elle ne tient que par la peur. Et nous craignions plus de succomber aux prêches de Louvier qu'aux balles des gardiens, à vrai dire peu motivés eux-même par leur tâche.
J'avais décidé, comme plusieurs autres, d'en profiter pour fuir.
Pour augmenter nos chances, nous avions choisi des points de sortie différents, pour obliger les gardiens, peu nombreux, à choisir qui poursuivre.
Manifestement, je n'avais pas été suivi.
Et j'étais là, devant ce mur, à repenser à mon kidnapping, me réjouissant que ma captivité prenne fin aujourd'hui.
Cette joie était un progrès notable, quand je considérais ma vie d'avant, sans buts, sans passions, dans laquelle poser le pied par terre le matin était un effort parfois insurmontable. En deux mois d'endoctrinement, j'avais au moins appris qui j'étais, j'avais pris ma vie en main à l'insu de mes géoliers.
Louvier ne cessait de nous répêter à tous que nous n'étions pas libres, avant, et qu'il allait nous libérer pour notre plus grand bien. Ce n'était bien sûr qu'une nouvelle prison doctrinaire qu'il nous proposait d'intégrer, mais peu importe, sans le savoir il avait raison : il nous avait délivrer, pour la plupart, de notre peur d'oser, d'entreprendre. Notre liberté était née de ce qu'on nous avait enlevé, comme si cela avait mis toute notre existence en perspective, comme si nous avions trouvé un point d'observation en hauteur et que nous pouvions apercevoir en un regard ce qui paraît à beaucoup d'hommes une suite sans logique d'évènements, de contraintes, de pas...
Aujourd'hui, pour la première fois, chacun de mes actes avait une logique, et elle était mienne. Prestement, je sautai le mur, et ne m'attardai pas sur la splendide rousseur des feuilles d'automne jonchant le sentier qui s'ouvrait devant moi. Je m'enfonçai dans la forêt profondément, n'ayant plus peur de me perdre désormais. J'arriverais toujours bien quelque part.
L'essentiel n'est pas de choisir la destination, mais le chemin qui nous correspond. C'est la seule façon de n'être pas déçu, à la fin...
(1) Icarien : http://fr.wiktionary.org/wiki/icarien
Membre du mouvement icarien d'Etienne Cabet.
Les icariens mêlaient christianisme et communisme.
(2) Germon : http://fr.wikipedia.org/wiki/Germon
Le germon ou thon blanc (Thunnus alalunga) est une espèce de poisson de la famille des Scombridae. C'est un poisson de large répartition (tous les océans, méditerranée), trés prisé par les pêcheries.
(3) lytique : http://fr.wikipedia.org/wiki/Cycle_lytique
Qui se rapporte à la destruction d'éléments organiques comme les tissus, les microbes ou les cellules sous l'action d'agents physiques, chimiques, ou enzymatiques. Ex. lyse bactérienne sous l'action des bactériophages.