Texte écrit dans le cadre du défi créatif d'aout 2023.
« Tu as l’air nerveux, Alain. Ca va aller ? »
Je regardai mon – nouveau – producteur, et me dit qu’il n’était définitivement pas fait pour ce métier. Est-ce que tu crois vraiment, petit, que c’est une question à poser à 10 minutes de l’entrée en scène ? Pas sûr que ça aide à détendre ton artiste.
Mais si la remarque vient de moi, vu mon passif, tu vas juste te dire que je pête un plomb – encore – alors vaut mieux que je me taise, pas vrai.
Mais franchement … après cette mini tournée d’été, je m’en choisirai un autre. Celui-ci, on me l’a foutu dans les pattes à mon retour, parce qu’il allait m’aider à « relancer » ma carrière. Quelle rigolade ! Y a rien à relancer, mon public m’attendait manifestement, vu la vitesse à laquelle on a vendu toutes les places de mes concerts !
Il sembla ne pas comprendre que mon silence voulait dire que j’avais besoin de me concentrer, et insista :
- Je te l’avais bien dit, que tu aurais dû faire au moins une répétition. Là, t’as vraiment pas l’air prêt !
- Mais qui est-ce qui m’a foutu un producteur incapable de faire la différence entre « pas prêt » et le trac ? Je croyais que tu avais de l’expérience, coco ! Alors maintenant, dégage et laisse moi me concentrer !.
J’aurais pu lui répondre que toute ma vie était la répétition de ce spectacle, que je répétais déjà avant qu’il soit né. Qu’après 4 mariages et autant de divorces, une dépression quasi permanente, 2 overdoses, 3 désintoxs par décennies en moyenne, 1 tentative de suicide, 1 accident de voiture presque mortel, et maintenant ce cancer des poumons, j’étais toujours revenu sans problèmes.
Que si un jour je devais ne pas être prêt, c’est que moi ou quoi que ce soit d’autre aurait finalement eu ma peau.
Et malgré tout ça, j’ai toujours un public ! ironisais-je dans ma tête, me demandant au moins pour la 1000ème fois de la journée ce que je foutais là et pourquoi ils acceptaient de payer aussi cher pour venir, sous la pluie en plus, debout pendant des heures, attendre une épave comme moi. Qu’est ce qu’ils pouvaient bien me trouver, pour m’avoir suivi toute ma carrière, tout pardonné ? Et les nouveaux fans, les jeunes, comment je pouvais les intéresser avec ma musique, pas du tout dans le style actuel ?
Allez, on se ressaisit et on y va !
Je me levai et me diriger vers la scène sans hésitation. Juste un regard et une tape dans la main à chacun de mes musiciens, un « merde » collectif, et puis nous y voilà.
La scène.
Ce soir c’est une arène avec 20.000 personnes. Pleine à craquer, et la foule en liesse. Pas de doute, ils ne se sont pas perdus, n’ont pas oublié de partir après l’artiste précédent du festival. Ils sont bien là pour moi !
Le minimum que je puisse faire, c’est de prendre plaisir à ce concert et qu’ils le voient.
J’entame le premier couplet, montant lentement vers les aigus. Ma voix ne m’a jamais lâché, et manifestement ne commencera pas ce soir.
J’arrive sur la note la plus aigüe et m’entend à peine tellement le public hurle en reprenant en cœur. Ca va être un concert génial !
J'adresse un regard rapide vers le bord de la scène, vers mon producteur – manifestement soulagé – à qui j’adresse un « fuck » bien senti qui lui fait l’effet d’un coup de poing dans la gueule. Je n’attendrai pas la fin de la tournée pour le virer, c’est au-dessus de mes forces. Je suis le seul autorisé ici à ne pas croire en moi, et encore, avec parcimonie !