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Ce blog et les écrits qu'il contient sont mis à disposition par Michel Bosseaux (l'auteur) selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
 
 

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15 janvier 2009 4 15 /01 /janvier /2009 10:38
Autre guerre, mêmes horreurs... alors je republie ce texte, qui me paraît affreusement "de circonstances"...



Les bombes tombaient. Des fragments partout. Il courait, courait, sa cadette dans les bras, ses deux aînés devant ...
Sa femme ... il ne savait pas. Quelque part dans les fragments. De métal et de vie.

Ses fils criaient. Il lui semble en tout cas. Qu'il devait se dépêcher.
Toujours plus de bombes, toujours plus de fragments.
Ses pensées aussi se fragmentaient. Entre un présent trop rapide, que sa raison jouait pourtant comme au ralenti, et les images de ce qu'il laissait derrière. Les souvenirs. Bons comme mauvais.
Trop douloureux dans tous les cas.

Ses fils criaient. De nouvelles explosions. Dans son cœur, il sentait aussi qu'une bombe était tombée.
Sa femme ... un autre fils mort devant lui. A quoi bon continuer ?

Il déposa sa fille dans les bras de son cadet. Le poids était trop lourd dans sa tête.

Trop de fragments.

Il savait que s'il restait là, dans ce temps suspendu, il y en aurait bien un pour le tuer. D'un métal glacial, de toute la vengeance accumulée, ou d'un chagrin trop brûlant, qu'importe. Qu'importe aussi qu'Allah soit grand, quand il savait que sa mort serait salie, exploitée, statistique anti-occidentale pour ce pouvoir qu'il n'avait jamais soutenu, statistiques de combattants ennemis morts pour cet occident dont il n'avait jamais été l'ennemi, et finalement juste une mort abjecte pour ses proches.
De la douleur qui ne cicatriserait jamais.

Comme pour lui. Sa femme, son fils ...

La vraie foi était dans la volonté de vivre encore. Pour que mentent les statistiques et la « géopolitique ».


Longtemps après, les bombes cessèrent.


Il faudrait retrouver un abri avant que ça recommence. Car ça recommencerait, sûrement ...

Il trouverait. Par foi.
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29 mars 2008 6 29 /03 /mars /2008 10:50
A l'occasion du Sidaction, un texte écrit il y a déjà pas mal de temps, et qui peut-être parlera mieux que je ne le pourrais de cette foutue maladie, mais aussi de l'amour, qu'elle n'empêche pas, quand il est vrai...



Un éclat de vie dans ton regard fiévreux. Ta main dans la mienne. Mon cœur qui bat plus vite.
Comme la première fois que je t’ai vue, il y a 10 ans.
Rien n’a changé.

« Je t’aime, Valérie … ne dis rien, repose-toi »

Un baiser achève de te convaincre, tu me souris et fermes les yeux. Tu t’endors, heureuse.

J’attends un peu, je te regarde. Je ne pourrais pas imaginer ma vie sans toi. D’ailleurs le médecin est venu me dire que ce n’est pas encore le moment. Tu réagis bien au traitement. Sans doute sortiras-tu dans une semaine. Il parait que tu en aurais encore pour un an ou deux, au moins. Largement le temps de ne pas y penser.

Je remonte les couvertures sur toi, machinalement, puis je repars traîner un peu dans la salle d’attente. J’attends ton réveil. Tu voudras sans doute que je continue à te lire ce livre que tu aimes tant. « La demi-pensionnaire », de Didier Van Cauwelaert. Tu sens que c’est un peu toi, cette femme seulement à moitié vivante, mais profitant pleinement, pas comme tous ces gens qui ne savent pas leur chance …

Je me rappelle encore comment tu m’avais annoncé la nouvelle, peu après notre rencontre. Brutalement, pour me faire fuir. Parce que tu en avais marre d’espérer pour rien. Parce que tu ne croyais plus avoir le droit d’espérer. Tu préférais que je parte plutôt que ma pitié ou ma peur. Ou mon jugement.
Un baiser t’avait répondu, et un long regard souriant. Comme aujourd’hui, quand tu as voulu me dire que tu n’avais plus la force de te battre.

Je te connais si bien.

Il y a eu le regard des autres, ceux qui savaient et nous jugeaient. Les mots de mes amis, ma famille, pour me mettre en garde. Les moments d’abattement. Mais je n’ai jamais douté.

Il y a eu ta honte après les mois, parce que tu aurais bien voulu me dire de ne pas le mettre, ce préservatif. Parce que tu te sentais intensément malade, toi toujours si pleine de vie, chaque fois que je le mettais. Alors j’inventais des jeux pour que tu en ries, parfois aussi je le mettais sans que tu remarques le geste. Puis c’est devenu naturel.

Je me rappelle qu’on ne te donnait pas 6 mois à vivre. On ne nous donnait aucune chance, non plus. Et me voilà aujourd’hui, 10 ans après, à attendre que tu te réveilles.

Et plus je pense à nous, plus je sens que nous sommes heureux, pleinement, malgré ta maladie qui n’a jamais été un obstacle. Malgré cet hôpital quand je préfèrerais t’emmener voir la mer …


Ton murmure me tire de ma rêverie.
Si tu n’étais pas ma femme, si c’était le premier regard, je tomberais amoureux, là, mes yeux dans les tiens.

« Je t’aime »
Moi aussi, chérie …

29/04/2002
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24 août 2007 5 24 /08 /août /2007 13:50

« Cela aurait du être une belle journée », se répéta Jack Travis pour la 100ème fois au moins. « Même plus que belle ». Il avait assez travaillé pour cela. Et c’est sûr, ça n’aurait pas manqué d’être une énorme surprise pour Helen.

Si elle était venue.

Mais voilà, une fois de plus, la vie n’est qu’un long fleuve d’imprévu, et peu importe les moyens pour le dompter, il vous surprend toujours.

« Helen est morte. Et il faut que je l’apprenne pas la télé.
Incroyable !

Pour un peu, je lui en voudrais, à cette … mais non, c’est trop stupide. Elle n’a quand même pas choisi de mourir. Et surtout pas aujourd’hui. »

Mais décidément, Jack trouvait ça très dur à avaler.

« Ainsi, ma surprise tombe à l’eau, et me voilà spectateur de la mort de ma femme par écran interposé.

Très frustrant. »

 
Le ton « faits divers » commençait à l’énerver franchement, quand une bonne reconstitution télévisée (même purement spéculative), aurait avantageusement remplacé les commentaires plats des journalistes, cachant leur ignorance sous du mélo à deux balles … aucune image « prise sur le vif » …

« Vraiment, ça n’aurait pas du finir ainsi …

"Sauvagement assassinée après avoir été violée ", fin de citation

Ca n’a même pas de classe ! »

Plus il y pensait, plus Jack se disait que tuer une femme seulement pour avoir le droit de la toucher avant … et le droit au silence après … alors qu’il y en avait tant qui ne demandaient que ça, être touchées … et qu’il suffisait d’aider les moins convaincues avec beaucoup d’alcool, ou un peu de drogue, ou un mélange des deux …

« Vraiment minable, comme motivation pour tuer. »

 Et ensuite, pourquoi laisser les choses « en l’état » ?

 « Au pire, il aurait pu faire disparaître le corps. Au mieux, maquiller en accident. Mais non ! Il a juste été assez intelligent pour ne pas se faire voir. Et encore. Il n’a même pas mis de capote !

Mais ça, ça m’arrangerait plutôt. La police aurait encore pu me soupçonner, sinon !

Avouez que ça aurait été le comble !

Un psychopathe assassine la femme que je chéris tendrement (et surtout son argent) depuis 2 longues années … et la police ne trouverait rien de mieux que de me coller le crime sur le dos.
Et adieu l’assurance-vie.

Trop drôle. J’en rirais presque.

En attendant, cela n’aura bien évidemment pas lieu, et l’argent est à moi. Mais quand même … je suis frustré.
A 3 heures prêt, c’est moi qui la tuais. Pour l’argent bien sûr. Bien meilleur but !

La vie est étrange, parfois … vous ne trouvez pas ? »

 
Tout en se parlant à lui-même, Jack tournait en rond dans la pièce. Il finit par se servir un verre et s’affala dans son fauteuil, devant la télévision.

« Finalement, allez … ce n’est pas une si mauvaise journée, pas vrai ? C’est même encore mieux … personne ne pourra jamais penser que je voulais la tuer …

Le crime le plus parfait qui soit : celui que l’on n’a pas à commettre soi-même ! »

Finissant son verre, Jack pensa fugacement qu’il faudrait quand même qu’il pense à changer ce porto, qui avait vraiment un drôle de goût.

« Mais … le porto ? C’était la bouteille d’Helen ? oh non !

 adieu l’argent … »

 



« Dernière minute, nous venons d’apprendre le suicide de l'homme d'affaire Jack Travis, mari d’Helen Travis, qui, nous vous le rappelons, vient d'être sauvagement assassinée par « le poinçonneur de Manhattan ». D’après les premières analyses, il aurait mélangé du poison dans son porto.

 - Une bien triste fin, vous ne trouvez pas Carole ?

- Si, Franck … et  nous comprenons tous le désespoir que ce pauvre homme a pu ressentir …

- Et tout le monde est en droit de se demander : mais que fait la police ?

- Ici Carole King et Franck Carson, pour CBS news … à vous les studios ! »

 

 (texte republié)

 

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24 août 2007 5 24 /08 /août /2007 08:54

Aujourd'hui 17 juin. Une nouvelle journée qui commence, sous un soleil qui a cessé depuis deux semaines déjà d'être insolent. Je l'accueille avec plaisir au réveil, à travers mes volets mal fermés.

J'avais oublié combien la vie peut être belle, et si simple, quand personne ne vous pourchasse. 

J'ai encore dû changer de nom. Mais ce n'est pas la première fois. Je m'appelle Richard Banford, à en croire mes papiers d'identité… avant c'était Anthony Sorel. Avant… peu importe. Seul compte le moment présent.

Inutile de repenser au passé, à moins de vouloir repenser aussi à…

Non non, c'est de l'histoire ancienne maintenant...

 
Aujourd'hui 17 juin, j'ai un entretien pour un travail de livreur dans une société de ventes par correspondance. Tout ce qu'il me faut. Ca n'a rien de passionnant, j’avoue. Mais ça serait mon premier vrai travail depuis longtemps. Tout ça à cause…

Ne pas y penser.



 Le temps de me préparer et me voilà dans la rue, bordée d'arbres aux feuilles éclatantes de santé. Pas l'ombre d'une voiture en vue. J'ai eu de la chance de trouver cet appartement.

Je croise quelques voisins que je salue avec un sourire. Ca ne coûte pas cher de se faire apprécier. Puis on ne sait jamais, ça peut toujours servir. Je n'aime pas les gens, mais je sais leur faire croire le contraire.

J'arrive au métro. Là, c'est déjà la cohue. J'entre. Une rame dans deux minutes, j’attends patiemment.
Je me sens bien dans ma peau, vraiment. Moi qui n'aime pas la foule, me voilà en train de sourire pourtant, le cœur léger. Décidément, la vie est belle.

Je me faufile jusqu'à une place libre et m'installe. Je n'ai pas oublié de prendre un livre. La clé de la réussite en toute chose est d'avoir l'air de ne pas faire attention aux autres. Comme ça, ils ne se sentent pas agressés.

En fait, je ne lis pas, je fais juste semblant. Je n'aime pas la foule alors je me méfie. Je ne rate pas un geste, un regard, une attitude.

Mais tout va bien aujourd'hui. J'arrive même à lire réellement.

J'ai avalé deux pages au moment où le métro s'arrête à la 6ème station. Je relève la tête pour regarder monter les passagers.

Et là tout bascule.



Des yeux d'un bleu profond se posent brièvement sur moi. Trop brièvement peut-être pour qu'on puisse en déduire quelque chose, mais je sais ce qu'il en est. Le même éclat dans le regard. C'est elle.

D'habitude elle préfère les yeux verts, mais peu importe, il n'y a pas de doutes. Je suis passé maître dans l'art de la reconnaître. Depuis le temps.

Je dois lui concéder qu'elle sait choisir des visages, des vêtements, des façons de se mouvoir, totalement différents à chaque apparition. Et elle a du goût. Jamais vulgaire, jamais quelconque. Coiffure impeccable. 1m65. Elle déteste les chaussures à hauts talons, n'en porte jamais. Elle préfère les vêtements simples aux tenues trop tapageuses. Des couleurs unies, chaleureuses, qui mettent en valeur son sourire si franc, et cet éclat dans le regard.
Ce même éclat, et cette façon de sembler ne pas faire attention à moi, alors qu'en moins d'une seconde elle a fouillé mon âme …

Tu peux te déguiser autant que tu voudras, ma belle. Je te reconnaîtrai toujours.

Je balaye du regard l'espace qui me sépare de la porte la plus proche. Je perçois son regard sur moi à nouveau, fugitivement. Il faut que je trouve une solution, vite.

Deux semaines, je croyais bien l'avoir semée cette fois, mais il n'en est rien. Si je m'en sors, il faudra que je prenne encore plus soin de brouiller les pistes la prochaine fois. Une bouffée de rage m'envahit.

Quand donc cessera-t-elle de me pourrir la vie ?

 



Je n'ai pas le choix, comme toujours. Maintenant qu'elle sait que je l'ai vue, elle ne cesse de m'observer à la dérobée. C'est une professionnelle, elle sait comment s'y prendre pour que sa cible ne remarque rien, mais j'ai appris avec le temps à passer entre ses regards, à la prendre par surprise.

A la tuer, aussi.

Je l'ai déjà fait des centaines de fois. Et puisqu'elle veut continuer la traque, puisqu'elle n'en a pas encore assez, alors je vais soigner sa fin tout particulièrement aujourd'hui. Qu'elle s'en souvienne. Qu'elle sache que si je n'y prends aucun plaisir particulier, sa souffrance me tient néanmoins très à cœur.

Il faut que celle-ci soit maximale. Pour qu'enfin elle renonce.

 



Le métro s'immobilise à la station.

Elle se lève, continue à faire semblant de ne pas me voir, tout en scrutant (un millième de seconde tout au plus) ma réaction. Puis, elle sort, et d'un nouveau regard furtif, me défie de la suivre.

Comme si j'avais le choix.

Comme si je ne devais pas résoudre le problème à tout prix.


Mais quand même, j'attends la dernière seconde pour débarquer. Pour qu'elle doute.
Puis, je m'engouffre, juste avant que les portes se referment...

14/12/2000 -  24/08/2007

 


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23 août 2007 4 23 /08 /août /2007 10:45
Une histoire imaginée, à la base, pour une rédaction, pour aider la fille de mon amie... mais ça a un peu débordé...



Pierre regarda pour la 10ème fois au moins sa montre en moins d’un quart d’heure. « Si cela continue, nous allons rater le match », pensa-t-il. Et pas n’importe quel match : la finale du championnat. En ajoutant à cela qu’en 6 mois de temps, c’était la première soirée qu’il ne passerait pas le nez dans un dossier d’enquête, ou en filature, ou en planque dans un quelconque coin pourri … il n’avait pas précisément envie de la passer à attendre. En congé depuis la nuit dernière, il tenait bien à profiter de sa semaine au mieux.

Maudissant une nouvelle fois Marc, son meilleur ami (pour lequel la notion de ponctualité s’arrêtait à être devant sa télé à l’heure du "Millionnaire"), et puis la terre entière par un enchaînement d’idées bien connu des policiers, Pierre but une nouvelle gorgée de whisky, prit avec humeur le journal qu’il avait acheté une heure avant, mais qu’il s’était juré de ne pas ouvrir, pas ce soir, puis se réinstalla dans son fauteuil.

Par habitude, il chercha directement la rubrique « faits divers ». Une photo accrocha son regard, et décida de la suite de sa soirée.

Finalement, il n’assisterait pas au match



Filant à 160 vers le commissariat, son seul vrai chez lui en y réfléchissant bien, Pierre ne parvenait pas à échapper à ses souvenirs, qui le ramenaient à la photo du journal, et inversement. Il l’avait tellement vue, cette photo, dans le temps … tellement aimée, aussi, alors qu’elle la détestait absolument.
Et il l’avait aimée elle aussi. Et elle l’avait détesté. Mais tout ça n’avait plus d’importance, désormais. C’est du moins ce qu’il se répétait en boucle, opposant à ses sentiments, si contradictoires et toujours si vivants malgré le temps passé, la froideur blasée de l’article du Daily Sun

Chicago – Anna Garrett, jeune secrétaire de 27 ans, a été retrouvée morte dans le bureau de Edouard Norton, PDG de Cybercom, qui venait de l’engager.

D’après les premières constatations de la police, la victime n’a pas fait l’objet de violences physiques, mais certains éléments orientent néanmoins l’enquête vers un décès d’origine criminelle.

Rappelons que Cybercom, spécialisé dans le domaine des réseaux d’entreprise, a connu une croissance fulgurante depuis sa création il y a 5 ans. Jackie Leman, porte-parole de la société, déplore ce « malheureux incident » et espère qu’il ne portera pas préjudice à l’image de la société, dont le personnel ne saurait d’aucune façon être responsable de ces évènements.

Pierre ricana en repensant à ces mots de la porte-parole de Cybercom … la seule personne  apparemment à se préoccuper de l’image de la société dans ce contexte. Décidément, certaines choses ne changeraient jamais. Sauf pour le pire.

Et Anna morte, c’était bien le pire.



Par une sorte de « coup de chance », l’inspecteur chargé de l’enquête venait de s’absenter pour « raisons médicales », euphémisme poli pour dire que cet alcoolique chronique avait replongé une nouvelle fois. C’est donc soulagé d’un problème, bien que ne comprenant pas vraiment l’intérêt de Pierre pour ce dossier, ni la raison pour laquelle il annulait ses congés, que le commissaire lui confia l’enquête.

Pierre s’esquiva aussi vite, rassuré de n’avoir pas du donner de détails sur lui et Anna, et se mit immédiatement au travail. Pas de temps à perdre. Il était connu de ses collègues pour son acharnement et ses enquêtes, expéditives mais jamais bâclées. Il tenait absolument à ne pas déroger cette fois. En mémoire d’Anna.

Il du vite se rendre à l’évidence : la qualité du travail de son collègue, même sérieusement imbibé, était irréprochable. Le dossier était impeccablement classé, et reprenait les constatations initiales dans le bureau de Norton, les interrogatoires du personnel de Cybercom et de toutes les personnes présentes ce jour-là dans les locaux de la société, des proches d’Anna et de son voisinage, ainsi que la reconstitution de l’emploi du temps de la victime le jour fatidique.

Pierre se fit la réflexion qu’en 24 heures, beaucoup de choses avaient avancé sans qu’il en ait conscience. Il n’aima pas ce sentiment d’avoir si vite perdu prise sur les évènements.

Continuant à étudier le dossier, Pierre eut la surprise de trouver un rapport préliminaire du médecin légiste. Ce n’était bien sûr pas le définitif, mais il arrivait parfois que seulement 4 heures après les constatations, il rende un premier avis dans les cas les plus simples. Et sans doute qu’ici, c’était le cas, ce dont Pierre ne se plaignit pas. Il tenait absolument à ce que le monstre, qui que cela puisse être, qui avait éteint l’éclat des yeux d’Anna soit arrêté au plus vite, et pas dans 10 ans, comme cela arrivait parfois.

C’est dans cet état d’esprit qu’il lut les conclusions des analyses toxicologiques, et s’autorisa alors un de ses sourires carnassiers tellement réputés et si froids à l’intérieur : l’enquête semblait se simplifier à vue d’œil.



Anna avait été empoisonnée. Logique. Les constatations faites dans le bureau d’Edouard Norton avaient écartés toute violence physique, mais la couleur de la peau de la victime était tout sauf naturelle. Ce qui avait justifié qu’on prenne une vieille photo pour l’article du Daily Sun.
Plus intéressante était la composition exacte du poison, en fait un médicament vendu sur prescription, mais présent ici dans une concentration anormalement élevée. Et le légiste notait certaines anomalies. Comme le fait que l’on n’avait pas retrouvé le produit complet dans l’organisme de la victime, seulement son constituant principal, très concentré, dont une seule goutte aurait suffi à tuer. Le fait aussi que des traces relevées sur les vêtements de la victime faisaient penser à une prise par spray, alors que le médicament est normalement conditionné sous forme de comprimés.

Le fait qu’il s’agisse d’un médicament anti-obésité réputé (le COLABREX, commercialisé à peine quelques mois plus tôt et présenté comme une révolution par COLAWARE inc., jeune société pharmaceutique qui avait décroché sa place dans l’élite de la profession avec son premier produit), alors que Anna n’avait aucun problème de poids, confirmait l’empoisonnement.

Visiblement, le tueur avait eu accès aux constituants de base du médicament. Cela aurait pu très naturellement amener Pierre à enquêter dans les locaux de COLAWARE inc. Mais sans l’ombre d’un début de liste de suspects, c’était une fausse bonne idée. Il serait toujours temps par après de chercher les contacts d’éventuels suspects avec des employés de la société pharmaceutique.

Un point retint beaucoup plus l’attention de Pierre. Le légiste affirmait que le produit avait tué Anna en +/- 15 minutes, entre l’inhalation et les premières réactions, normalement foudroyantes. Une conclusion s’imposait donc d’elle-même : le tueur était dans les locaux de Cybercom au même moment qu’Anna.
Cela valait bien qu’il fasse un peu mieux connaissance avec le fameux Edouard Norton.



L’entretien ne pu malheureusement avoir lieu, mais l’homme d’affaire, en déplacement chez un important client en Europe, avait laissé des instructions au cas où la police reviendrait. Ce fut donc sans la moindre difficulté que Pierre obtint du chef de la sécurité l’accès aux dossiers du personnel, et qu’il eut droit à une visite guidée de l’ensemble du bâtiment, et plus précisément des lieux où était passée la victime.

Pierre regardait, notait, s’efforçant de se faire une idée précise des lieux.



Plus tard, un café à la main, il compulsait le dossier, attablé à la cafétéria de Cybercom, où il avait trouvé momentanément un peu de calme. En effet, le bâtiment était une vraie ruche dans laquelle travaillait quotidiennement 2500 personnes, et où circuler était une activité à haut risque pour le système nerveux.

L’ambiance de cette cafétaria lui faisait penser à une salle d’attente d’hôpital, en plus aseptisé encore, mais cela ne la gênait pas dans son travail.

Il pensa que vérifier les dossiers de tous les employés un par un, en enquêtant séparément sur chacun d'eux, n’aurait rien donné. De toute façon, Anna ne connaissait personne ici : c'était sa première visite dans l’entreprise, pour des tests de recrutement. A l’issue de ceux-ci, elle s’apprêtait à signer son contrat, quant elle était soudain décédée.
L’hypothèse de l’employé psychopathe, bien que pas forcément « farfelue » (il avait déjà tout vu dans son métier), n’avait pas sa préférence pour l’instant. Et puis il y avait des moyens d’arriver aux conclusions par des moyens plus simples.

Pierre décida de retourner à la sécurité.



Il apprit que les jeunes femmes reçues pour les tests ce jour-là avaient toutes du attendre dans la même salle avant d’être reçues pour les entretiens individuels. Après, certaines repartaient immédiatement, tandis qu’on demandait à d’autres de rester au cas où l’on voudrait les revoir. Parfois, un téléphone sonnait, et la réceptionniste venait annoncer à une de ces personnes qu’elle aussi pouvait finalement partir. Et ainsi la journée passa, jusqu’à ce qu’il ne reste que deux candidates en attente.

En plus d'Anna, il y avait une certaine Susan Nichols. Les entretiens étaient finis depuis un moment quand arriva l’appel signifiant que celle-ci pouvait partir.

« Si vous aviez pu voir sa tête à ce moment-là ! », ajouta le chef de la sécurité, « c’est inhumain, de faire attendre les gens comme ça, comme du bétail, et finalement les balayer en claquant des doigts… »
« Moi, devant mon écran, quand tout est calme dans le bâtiment, je prend mon café en regardant défiler les candidats pour des emplois. On recrute tout le temps ici … et si vous saviez ce que j’en vois, des scènes de désespoir, combien de fois je dois aller vérifier dans les toilettes qu’il n’y en ait pas qui voudraient se suicider … ».

Pierre écoutait distraitement cet employé lui confier ses états d’âmes, tout en pensant à ce qu’il venait d’apprendre. Les candidates n’avaient pas quitté la salle d’attente de toute l’après-midi (sauf pour se rendre aux toilettes, ou dans un bureau pour les entretiens, ou pour sortir du bâtiment). Il y avait des caméras en permanence braquée sur elles. Anna était morte dans le bureau de Norton, 5 minutes à peine après y être entrée. Elle devait donc avoir été empoisonnée environ 10 minutes auparavant, dans la salle d’attente, à un moment où il ne restait plus que la réceptionniste, et l’autre candidate.

Et tout ça sous l’œil de la caméra.



La cassette vidéo de sécurité montra distinctement Susan Nichols se lever, après que la réceptionniste l’ait prié de partir. Sur l’image, elle sortait calmement de son sac une sorte de flacon de parfum, dont elle faisait mine de se servir. Puis, elle quittait la salle. En regardant attentivement, on pouvait constater que l’angle dans lequel elle envoyait le jet de « parfum » visait précisément Anna, à moins d’un mètre derrière.

Susan Nichols fut arrêtée le jour même

Elle avoua facilement au cours du premier interrogatoire, que Pierre tint à diriger lui-même. Il apprit notamment que la pilule qu'il avait vu la meurtrière avaler à sa sortie du bâtiment (caméra de sécurité extérieure) correspondait au contre-poison prévu contre une prise massive de la molécule de COLABREX non diluée. Elle avait eu accès au produit, ainsi qu’au contre-poison, par son mari, employé chez COLAWARE inc., et décédé accidentellement quelques mois plus tôt.

Elle-même sans emploi, elle avait du assumer seule ses enfants. Harcelée par les services sociaux (son mari, très dépensier, ne leur avait laissé que des dettes), elle était prête à tout pour retrouver un revenu décent dans un délai TRES rapide. L’occasion s’était ici présentée, vu qu’elle arrivait deuxième à l’issue des tests. D’ailleurs, elle avait été recontactée le jour même par Cybercom afin de venir signer son contrat.

Elle avait seulement fait trop d’erreurs. Si elle avait attendu sa victime à l’extérieur du bâtiment, dans le parking, peut-être que …

« Heureusement que les criminels sont parfois de vrais idiots », pensa Pierre, en passant le relai à un de ses collègues pour la suite des interrogatoires. « Mais quand même, c’est bien vrai que ce monde peut changer des gens normaux en vrais monstres… ».

En ce qui le concernait, cette enquête était bouclée, à peine un peu plus de 24 heures après le meurtre.



Confortablement installé dans son fauteuil, un whisky dans la main, et le journal sur les genoux, Pierre pensait : finalement, la vie sans Anna n’était guère différente. Juste la même horreur banale qui s’étalait d’articles en articles. Et puis, depuis son départ 3 mois plus tôt, il avait eu le temps de s’habituer à cette absence. Mais là n’était-il pas le mal, s’habituer, quand son cœur lui prouvait à nouveau, à chaque seconde, qu’il n’avait jamais cessé de l’aimer ? N’aurait-il pas fallu qu’il ait le courage de tenter ce pas vers elle, ce pas de plus, même si elle le détestait vraiment ? Qu'aurait-il risqué de si vital, qu'il n'ait pas eu ce courage ?
      
Son équipe favorite avait perdu le championnat. Marc avait laissé un message sur le répondeur pour s’excuser de n’avoir pas pensé à décommander, mais sa fiancée était enceinte, et … « et il a évidemment eu raison de ne pas venir », pensa Pierre. C'est quand ils sont là qu'il faut consacrer du temps à ceux que l’on aime. Après, il ne reste que des photos, des souvenirs.

      
Ce soir, il savait que même si cette enquête avait été parfaitement menée, jamais cela ne remplacerait les mots qu’il n’avait pas dit à Anna de son vivant, le temps qu’il n’avait pas passé avec elle.

Ce « je t’aime encore » qui le hanterait pour le reste de sa vie.

09/01/2004
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