« Cela aurait du être une belle journée », se répéta Jack Travis pour la 100ème fois au moins. « Même plus que belle ». Il avait assez travaillé pour cela. Et c’est sûr, ça n’aurait pas manqué d’être une énorme surprise pour Helen.
Si elle était venue.
Mais voilà, une fois de plus, la vie n’est qu’un long fleuve d’imprévu, et peu importe les moyens pour le dompter, il vous surprend toujours.
« Helen est morte. Et il faut que je l’apprenne pas la télé.
Incroyable !
Pour un peu, je lui en voudrais, à cette … mais non, c’est trop stupide. Elle n’a quand même pas choisi de mourir. Et surtout pas aujourd’hui. »
Mais décidément, Jack trouvait ça très dur à avaler.
« Ainsi, ma surprise tombe à l’eau, et me voilà spectateur de la mort de ma femme par écran interposé.
Très frustrant. »
Le ton « faits divers » commençait à l’énerver franchement, quand une bonne reconstitution télévisée (même purement spéculative), aurait avantageusement remplacé les commentaires plats des journalistes, cachant leur ignorance sous du mélo à deux balles … aucune image « prise sur le vif » …
« Vraiment, ça n’aurait pas du finir ainsi …
"Sauvagement assassinée après avoir été violée ", fin de citation
Ca n’a même pas de classe ! »
Plus il y pensait, plus Jack se disait que tuer une femme seulement pour avoir le droit de la toucher avant … et le droit au silence après … alors qu’il y en avait tant qui ne demandaient que ça, être touchées … et qu’il suffisait d’aider les moins convaincues avec beaucoup d’alcool, ou un peu de drogue, ou un mélange des deux …
« Vraiment minable, comme motivation pour tuer. »
Et ensuite, pourquoi laisser les choses « en l’état » ?
« Au pire, il aurait pu faire disparaître le corps. Au mieux, maquiller en accident. Mais non ! Il a juste été assez intelligent pour ne pas se faire voir. Et encore. Il n’a même pas mis de capote !
Mais ça, ça m’arrangerait plutôt. La police aurait encore pu me soupçonner, sinon !
Avouez que ça aurait été le comble !
Un psychopathe assassine la femme que je chéris tendrement (et surtout son argent) depuis 2 longues années … et la police ne trouverait rien de mieux que de me coller le crime sur le dos.
Et adieu l’assurance-vie.
Trop drôle. J’en rirais presque.
En attendant, cela n’aura bien évidemment pas lieu, et l’argent est à moi. Mais quand même … je suis frustré.
A 3 heures prêt, c’est moi qui la tuais. Pour l’argent bien sûr. Bien meilleur but !
La vie est étrange, parfois … vous ne trouvez pas ? »
Tout en se parlant à lui-même, Jack tournait en rond dans la pièce. Il finit par se servir un verre et s’affala dans son fauteuil, devant la télévision.
« Finalement, allez … ce n’est pas une si mauvaise journée, pas vrai ? C’est même encore mieux … personne ne pourra jamais penser que je voulais la tuer …
Le crime le plus parfait qui soit : celui que l’on n’a pas à commettre soi-même ! »
Finissant son verre, Jack pensa fugacement qu’il faudrait quand même qu’il pense à changer ce porto, qui avait vraiment un drôle de goût.
« Mais … le porto ? C’était la bouteille d’Helen ? oh non !
adieu l’argent … »
« Dernière minute, nous venons d’apprendre le suicide de l'homme d'affaire Jack Travis, mari d’Helen Travis, qui, nous vous le rappelons, vient d'être sauvagement assassinée par « le poinçonneur de Manhattan ». D’après les premières analyses, il aurait mélangé du poison dans son porto.
- Une bien triste fin, vous ne trouvez pas Carole ?
- Si, Franck … et nous comprenons tous le désespoir que ce pauvre homme a pu ressentir …
- Et tout le monde est en droit de se demander : mais que fait la police ?
- Ici Carole King et Franck Carson, pour CBS news … à vous les studios ! »
(texte republié)