Texte écrit dans le cadre du défi créatif d'aout 2023.
- On ne t’a jamais appris à sourire, toi ? Secoue-toi un peu, tu fais fuir les clients !
- Mais patron, je vous l’ai dit que j’étais malade ! Vous vous attendiez à quoi en m’imposant de venir quand même ?
- T’es pas malade là, on dirait que tu es carrément décédée et revenue pour me hanter et pourrir la soirée ! Allez, du nerf ! Et souris, j’ai dit !
Souris, souris … il en a de bonne, lui ! pensa Sylvie en s’éloignant en direction de la table 7. Sa vue se troublait, le plateau tanguait au rythme de ses pas mal assurés, mais elle parvint finalement à servir la commande de façon assez professionnelle pour que les clients la remercient, puis reviennent au comptoir, et recommence avec une autre table. C’était sans fin, la pièce tournait autour d’elle, et finalement ce qui devait arriver arriva : le plateau dégringola au sol, et elle suivit, en larmes.
C’est alors qu’un de ses habitués, le jeune homme de la table 9, sortit de façon inattendue de son attitude coutumière, en retrait, et se précipita pour l’aider à se relever. Et tout aussi inattendue, le patron, qui se précipitait pourtant en commençant à lui reprocher « sa maladresse », se figea devant cette scène et bâtit en retraite.
Une fois remise de ses émotions, Sylvie comprit au fil de sa discussion avec Marco, que malgré son jeune âge et l’air peu assuré qu’il arborait, qu’il était en fait le vrai propriétaire du restaurant. Et que l’attitude du gérant l’agaçait au plus haut point depuis longtemps, mais là, trop c’était trop.
Il offrit de raccompagner la jeune femme chez elle, « en tout bien tout honneur », et elle accepta, bien contente de pouvoir rentrer se reposer.
Le lendemain, se sentant un peu mieux et ayant oublié les trois quarts de ce que Marco lui avait dit la veille au soir, Sylvie se présenta au restaurant à l’heure habituelle pour préparer pour le service de midi.
Marco l’attendait, ainsi que tous les serveurs. Cérémonieusement, il lui remit les clés du restaurant.
Le gérant avait été remercié une heure plus tôt. Elle n’avait qu’à signer, et l’établissement était « à elle ».
Malgré le sentiment de panique et le poids des responsabilités nouvelles qui l’attendaient, il ne lui vint même pas l’idée de dire non. Au contraire, un sourire immense comme elle n’en avait probablement plus affiché un depuis l’enfance, inonda son visage et ne la quitta plus au fil des jours qui défilèrent à partir de celui-là.
Il s’agrandit même peu à peu, au contact de Marco, beaucoup plus impliqué pour l’épauler… et pas seulement. Mais le temps dirait jusqu’où son implication pourrait aller.
En attendant, elle qui pensait n’avoir qu’un travail d’appoint de serveuse, venait de trouver sa vocation – avec un coup de pouce du destin – dans un des plus mauvais moments.
La vie était si surprenante !