28 avril 2008
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20:15
Je réédite ce texte, à l'occasion de la cérémonie 2008 des Molières, qui m'y a fait repenser.
Merci à Duquinou pour les mots qui rythment ce texte. Une liste "piège", pas par des mots rares, mais justement parce qu'ils sont tous très connus, presque "banals". Difficile donc de ne pas tomber dans les clichés... Mais comme j'aime les défis... je prend le risque ! A vous de me dire ce que vous en pensez...
amour, patience, rage, enfer, haine,
amitié,téléphone, passion, émotion, loup
"Sur la partition de l'émotion, j'ai joué l'amour sur tous les tons, de la patience à la rage, de l'amitié à la passion. Et même jusqu'à la haine, l'enfer, devant vous j'ai tout exploré, et vous m'avez applaudi, de vous être sans doute reconnus, quelque part. Depuis tant de temps que vous m'accompagnez, de spectacles en spectacles, j'ai appris ce qui vous fait frissonner, et je ne manque pas, avec le soucis du détail, de vous offrir chaque fois un peu plus de ce que vous aimez, d'être ce reflet de vos coeurs, hurlant comme un loup quand vous ne l'osez pas, mais que vous le voudriez tant.
Aujourd'hui c'est le jour de mon couronnement. On me décerne le Molière, vous êtes à mes pieds, et si je n'en fais pas plus de cas, ce n'est pas comme trop souvent par orgueil, mais parce que derrière ce masque que j'ai porté avec bonheur pendant toutes ces années, pour vous autant que pour moi, le rideau se déchire, les souffleurs se taisent. Je suis seul face à ce téléphone qui sonne, sonne. Et elle ne répond pas.
Vous me dites que vous avez appris par moi comme aimer peut-être beau, même jusqu'à la torture, échos déchirants... Moi en un regard j'ai compris que je ne savais rien. Depuis, l'horloge se joue de moi, je tourne en rond en attendant ses appels qui ne viennent pas. Je prie pour n'être pas le seul à ressentir. Je souffre comme jamais pour personne. J'aime, et pour la première fois, je me suis tu.
Jusqu'à ce soir.
Cet amour, impossible d'en nourrir mes rôles, bien rodés maintenant. Sur cette scène je suis ce qu'on attend de moi, je n'ai plus le droit de changer il paraît. Le spectacle doit continuer, et tant pis si je ne suis qu'une pâle copie à peine conforme à vos attentes, une imitation de l'amour, le vrai, celui que je ressens. Qu'importe que tout ça ne m'amuse plus. Vous applaudissez, vous n'avez rien vu, rien senti. Les grandes douleurs sont muettes, il n'y a pas à espérer que vous m'entendiez si je ne dis rien de ce qui m'étreint.
Alors ce soir, voilà, je dis tout.
Vous me trouverez peut-être cynique, cruel... égoïste dites-vous ? L'amour ne l'est-il pas, n'est-ce pas ce qu'on en dit dans les livres, et dans toutes ces belles pièces que vous m'avez permis de jouer pour vous ? Je n'avais jamais compris. L'amour se jouait à travers moi, quand moi je me jouais de vous. Faux et usage de faux. Condamnez-moi.
Ce soir je ne joue plus. Ou alors mon âme toute entière, en espérant, si elle m'entend, que ce ne soit pas perdu d'avance.
En attendant, ce Molière... je ne vais pas vous remercier, etc etc... Je vais simplement te le dédier, Edith, toi avec qui, peut-être, je vais pouvoir jouer le rôle de ma vie : le mien, tout simplement. Toi, le premier rôle de toutes mes joies, mes douleurs, mon attente folle... Ce Molière est le tien, parce que toi tu es, sans artifices, et que c'est cela qui mérite d'être salué.
Pas ma triste pantomine, pas mes grotesques simulacres...
Et parce qu'aussi c'est toi qui me fait tel que je suis, ici, ce soir, et que c'est cet homme-là qu'ils choissisent d'honorer, alors tout l'honneur t'en revient.
Maintenant je vais retourner au silence d'après la scène, quand peu à peu vos voix décroissent, quand il ne reste plus que la vibration des néons, la valse des nettoyeurs. Je le connais bien, ce silence, ce n'est pas lui que je crains. Il sera juste plus long cette fois, où j'aurai refusé de tenir la place que vous m'aviez réservé. On ne me pardonnera pas, et ce silence sera ma maison désormais.
Mais si tu es avec moi, Edith... alors ce sera, enfin, le vrai bonheur.
Car il est un sentiment avec lesquels les critiques, les huées... ne pourront jamais rivaliser.
Au revoir, public... "
Merci à Duquinou pour les mots qui rythment ce texte. Une liste "piège", pas par des mots rares, mais justement parce qu'ils sont tous très connus, presque "banals". Difficile donc de ne pas tomber dans les clichés... Mais comme j'aime les défis... je prend le risque ! A vous de me dire ce que vous en pensez...
amour, patience, rage, enfer, haine,
amitié,téléphone, passion, émotion, loup
"Sur la partition de l'émotion, j'ai joué l'amour sur tous les tons, de la patience à la rage, de l'amitié à la passion. Et même jusqu'à la haine, l'enfer, devant vous j'ai tout exploré, et vous m'avez applaudi, de vous être sans doute reconnus, quelque part. Depuis tant de temps que vous m'accompagnez, de spectacles en spectacles, j'ai appris ce qui vous fait frissonner, et je ne manque pas, avec le soucis du détail, de vous offrir chaque fois un peu plus de ce que vous aimez, d'être ce reflet de vos coeurs, hurlant comme un loup quand vous ne l'osez pas, mais que vous le voudriez tant.
Aujourd'hui c'est le jour de mon couronnement. On me décerne le Molière, vous êtes à mes pieds, et si je n'en fais pas plus de cas, ce n'est pas comme trop souvent par orgueil, mais parce que derrière ce masque que j'ai porté avec bonheur pendant toutes ces années, pour vous autant que pour moi, le rideau se déchire, les souffleurs se taisent. Je suis seul face à ce téléphone qui sonne, sonne. Et elle ne répond pas.
Vous me dites que vous avez appris par moi comme aimer peut-être beau, même jusqu'à la torture, échos déchirants... Moi en un regard j'ai compris que je ne savais rien. Depuis, l'horloge se joue de moi, je tourne en rond en attendant ses appels qui ne viennent pas. Je prie pour n'être pas le seul à ressentir. Je souffre comme jamais pour personne. J'aime, et pour la première fois, je me suis tu.
Jusqu'à ce soir.
Cet amour, impossible d'en nourrir mes rôles, bien rodés maintenant. Sur cette scène je suis ce qu'on attend de moi, je n'ai plus le droit de changer il paraît. Le spectacle doit continuer, et tant pis si je ne suis qu'une pâle copie à peine conforme à vos attentes, une imitation de l'amour, le vrai, celui que je ressens. Qu'importe que tout ça ne m'amuse plus. Vous applaudissez, vous n'avez rien vu, rien senti. Les grandes douleurs sont muettes, il n'y a pas à espérer que vous m'entendiez si je ne dis rien de ce qui m'étreint.
Alors ce soir, voilà, je dis tout.
Vous me trouverez peut-être cynique, cruel... égoïste dites-vous ? L'amour ne l'est-il pas, n'est-ce pas ce qu'on en dit dans les livres, et dans toutes ces belles pièces que vous m'avez permis de jouer pour vous ? Je n'avais jamais compris. L'amour se jouait à travers moi, quand moi je me jouais de vous. Faux et usage de faux. Condamnez-moi.
Ce soir je ne joue plus. Ou alors mon âme toute entière, en espérant, si elle m'entend, que ce ne soit pas perdu d'avance.
En attendant, ce Molière... je ne vais pas vous remercier, etc etc... Je vais simplement te le dédier, Edith, toi avec qui, peut-être, je vais pouvoir jouer le rôle de ma vie : le mien, tout simplement. Toi, le premier rôle de toutes mes joies, mes douleurs, mon attente folle... Ce Molière est le tien, parce que toi tu es, sans artifices, et que c'est cela qui mérite d'être salué.
Pas ma triste pantomine, pas mes grotesques simulacres...
Et parce qu'aussi c'est toi qui me fait tel que je suis, ici, ce soir, et que c'est cet homme-là qu'ils choissisent d'honorer, alors tout l'honneur t'en revient.
Maintenant je vais retourner au silence d'après la scène, quand peu à peu vos voix décroissent, quand il ne reste plus que la vibration des néons, la valse des nettoyeurs. Je le connais bien, ce silence, ce n'est pas lui que je crains. Il sera juste plus long cette fois, où j'aurai refusé de tenir la place que vous m'aviez réservé. On ne me pardonnera pas, et ce silence sera ma maison désormais.
Mais si tu es avec moi, Edith... alors ce sera, enfin, le vrai bonheur.
Car il est un sentiment avec lesquels les critiques, les huées... ne pourront jamais rivaliser.
Au revoir, public... "
19/01/2007