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8 septembre 2007 6 08 /09 /septembre /2007 09:46
#021 Chrystelyne
écriture, jardin, mort, naissance , fauteuil, néant, nuage, stress, amitié, peau

Ce texte fait partie du recueil "Braises" (projet "logorallyes").

L'ensemble des listes reçues dans le cadre du projet, et ce que j'en ai fait jusqu'ici, est consultable ici.



Il ne faisait pas très beau, cette après-midi-là. Le soleil, comme souvent ces derniers temps, jouait à cache-cache avec les nuages, et le vent en profitait pour glacer les corps jusqu'aux os. Il en allait de même dans le jardin, balayé en tout sens par des bourrasques hésitant sur une direction précise.
Pourtant, Harry venait de prendre place, comme tous les jours à la même heure, dans ce même fauteuil où il avait, envers et contre tout,  vécu tant d'aventures ces dernières années. La cour était protégée par un simple toit, lui évitant la pluie ou la neige, selon les saisons. Le reste, il ne le sentait même pas, tout absorbé qu'il était déjà au premier pas posé dehors, avant même de s'installer, par l'ampleur de ce qu'il voulait réaliser.

Pas de rituel particulier, rien de plus que ce fauteuil à cet endroit précis, avec en vue direct le grand chène au bout du jardin. Cette vue achevait de l'apaiser, chaque fois, replaçant toute chose à sa juste valeur.
Il sortit son carnet, dernier en date d'une longue série, puis le même stylo qu'il utilisait depuis 20 ans.

Un frisson d'anticipation lui parcourut la peau, comme il ouvrait le carnet à la première page vierge. Ce fut comme si le monde extérieur disparaissait complètement, laissant la place toute entière à l'écriture.

Dans la maison, des pas se faisaient entendre, une voix s'emportait contre des voix plus petites, un problème de devoirs pas fait, de chambres pas rangées. Le stress était perceptible, ce stress auquel Harry avait choisi de se soustraire depuis longtemps. Avant les enfants, il y avait eu d'autres raisons, toujours d'autres... il y en aurait encore après. Il savait que l'affrontement ne servait à rien, il avait essayé. Tout comme la voix avait tout fait au début pour le voler à son moment journalier. Sans plus de succès. Ils en étaient arrivé finalement à un status quo. Et chaque après-midi à la même heure, c'est seule que la voix choisissait de s'énerver... c'était dans sa nature, tout comme pour lui de poser de l'encre sur le papier.

En ce moment précis, Harry n'entendait rien de tout ça, il était retranché en lui-même. confronté une nouvelle fois à à cette mort particulière de l'écriture, à la naissance tantôt douloureuse ou jubilatoire d'un autre monde sous sa plume, au néant qui guette au détour des lignes, attendant l'émotion trop intense qui ferait basculer l'écrivain dans un spleen abyssal...
il n'y a que ceux qui n'écrivent pas qui peuvent penser que ce ne sont que des mots, que l'auteur qui prétend "vivre" son texte en le composant est un fabulateur. Harry, lui, ne connait que trop ces "réveils" difficiles d'après le dernier mot, quand la porte refuse de se fermer, quand chaque pas se fait au travers d'une épaisse masse cotonneuse assourdissant toutes pensées, gommant toutes émotions autre que ce "spleen". Et cela peut durer des heures d'une "remontée" lente, si lente...

Rien de tout ça aujourd'hui. Après deux heures exactement passées à écrire, Harry referma son carnet, remis son stylo dans sa poche, et se leva. Il était temps de rentrer et d'aider sa femme à préparer le repas. Ce soir, Ils recevaient le meilleur ami de celle-ci à diner.
Sans doute voudrait-il savoir si le fauteuil qu'il avait offert continuait à faire office, aussi longtemps après. La question était la même chaque fois, lui offrant ces jours-là une heureuse prolongation à ses moments de paix. Patrick était devenu avec le temps son ami autant que celui d'Helen, et c'est en toute conscience qu'il posait la question, pas dupe de la joie gourmande qui illuminait alors les trais de Harry, ni de la résignation muette d'Helen. Elle n'aimait pas se sentir ainsi exclue d'une partie de la vie de son mari. Mais malgré toute l'amitié qu'il avait pour elle, il savait qu'elle pouvait être épouvantable, par moments, et ne comprenait que trop bien le besoin qu'avait Harry de s'offrir une pause dans le flot, un moment rien qu'à lui. Ils en avaient parlé très franchement, un soir, pendant qu'Helen répondait au téléphone. Il y avait 20 ans de cela. Cela ne faisait que quelques jours qu'il avait commencé à fuir.
Une semaine après, pour son anniversaire, Patrick avait offert à Harry ce fauteuil, lui disant qu'ainsi il serait mieux que sur une chaise de jardin.

A ce souvenir, un sourire flotta sur le visage de Harry durant un instant. Il était toujours heureux des visites de Patrick, c'était une des rares choses qu'il partageait vraiment à 100% avec Helen, et qui ne risquait pas de provoquer de dispute.
Il soupira à cette pensée, le sourire disparut tout à fait.

Il rentra.
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commentaires

C
J'aime beaucoup ce que tu as fait de mes mots , tu traduis bien le besoin de solitude, de temps, d'indépendance , de l'écrivain , je trouve ausi très juste la presque jalousie de l'épouse face à l'écriture qui lui vole son mari et la complicité de l'ami qui a deviné , qui sait et qui soutient, un très joli texte !<br /> A l'occasion si tu reviens sur mon blog, laisse moi un petit mot pour marquer de ton empreinte mon jardin d'écriture !<br /> amicalement chrystelyne
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F
Alors si tu aimes le résultat, je ne peux qu'être comblé :-)Je vais passer te relire :-)
K
Arf Dallas-Dynstie c'est ma Saga "NCTA 8-)Pour rebondir que ce qu'a écrit Claire je dirai juste que ça fait des années que je rêve de m'installer un "coin" rien qu'à moi où je pourrai écrire, dormir,etc...
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F
on en rêve tous...
C
J'aime bien l'idée du fauteuil, de son coin à lui pour se mettre à l'écart et pouvoir écrire... ;-)
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F
J'aime assez l'idée aussi, d'un lieu, un rituel, qui rendent libre... :-)
K
Harry, Patrick, Helen...Vingt ans de "vie commune"...Si avec ça tu nous écris pas une "saga" on se demande avec quoi tu vas le faire 8-)
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F
lolpeut-être pas une saga avec ceux-là, je crois qu'il faudrait pas mal de seconds rôles et d'intrigues à la "dynastie" pour que ça tienne sur la longueur... dans un genre que je déteste lolMais ouais, les prénoms euuuuuh... j'avais la tête ailleurs on dirait ;-)
P
Tout simplement bravo. Je trouve que tu as vraiment bien décrit ce que ressent l'écrivain, et puis toutes ces petites touches de la vie conjugales.
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F
merci beaucoup :-)