Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Licence Creative Commons
Ce blog et les écrits qu'il contient sont mis à disposition par Michel Bosseaux (l'auteur) selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
 
 

Newsletter
 

 

Référencement


Mes autres blogs
19 novembre 2006 7 19 /11 /novembre /2006 10:02
Ce texte a été écrit autour de la proposition 5 de l'atelier d'écriture créative, constituée d'une liste de 20 mots, avec obligation d'en utiliser au moins 14. J'ai tenté de placer les 20, avec quelques contournements mais cela fait aussi partie de ce genre d'exercices...

Les mots imposés sont : anathème, bleu, charade, chatouilles, disque, doser, doucereux, encre, gribouiller, improbable, inavoué, miséricordieux, noeud, planète, pomiculteur, reconversion, tourniquet, tubulure, vinaigre, zéphyr.



C'est la nuit de l'Anathème. La rumeur courait depuis des heures, déjà. Les Compagnons, au sein des cercles de quartiers, avaient invité tous les habitants à se rassembler.
De chez moi, j'entendais maintenant monter les premières clameurs, en provenance de la grand-place. Et moi, je n'y étais pas.
C'était pourtant obligatoire, sous peine d'être arrêté par les Gardiens de la foi, conduit sur la grand-place, et présenté à la foule pour que l'anathème soit jeté sur moi, ainsi que sur tout ceux qui s'écartent de La Vraie Foi.

Amen !

J'ai toujours cru en un Dieu miséricordieux, en une vie meilleure sur cette planète si chacun acceptait Son Amour au fond de soi. J'ai noirci beaucoup de pages, d'une encre bleu profond, pour exprimer mes croyances et les faire partager. Ma femme disait toujours "arrête donc de gribouiller, tu vois bien qu'ils ne veulent pas de ce message". Et elle avait raison, mais je n'ai jamais renoncé à croire à cette improbable reconversion de l'humanité.

Aujourd'hui encore, je crois que ça serait possible. Mais pas comme ils ont voulu le faire, non. Ils se trompent. Ils ont trompé tout le monde.

Le jour où la bourse s'effondra, où chaque homme vivant sur cette planète perdit travail, logement, où la misère se répandit comme une trainée de poudre, soudain une main se tendit pour donner du pain, puis un but nouveau, aux hommes écrasés. L'Eglise de La Vraie Foi tendit une main compatissante vers chaque homme et chaque femme, pour les remettre debout, leur rendre leur dignité perdue. Ils ne demandèrent en échange que d'accepter Dieu en leur coeur... et je fus conquis.
Ils connaissaient mes écrits, et bien vite je fus approché pour devenir un Compagnon, un de ceux qui devraient "guider le troupeau des âmes perdues" vers La Lumière. Je crus qu'il était enfin possible d'oeuvrer dans le bon sens, et j'acceptai.

Il ne me fallut pas longtemps pourtant pour comprendre que derrière les paroles doucereuses , savamment dosées, se cachait une ombre inavouée, et que tous nous avions bu le vinaigre croyant que c'était du vin. Que dire en effet du "livre des charades", ce livre de prières "new age" qui bien vite remplaça la bible ? D'ici, en cet instant, j'entend la foule scander en coeur des mots en réponse aux charades énoncées par les Compagnons.

Et malheur à ceux qui ne savent pas répondre, que l'anathème soit sûr eux !

Le noeud au creu du ventre, qui ne me quitte plus depuis des semaines, vient d'exploser en une nouvelle bouffée cynique, qui me chatouille l'esprit, et je ne résiste pas à l'éclat de rire qui vient.

J'en ai assez de devoir doser mes émotions. Ce soir, c'est porte ouverte !

Malgré ce "livre" absurde, malgré les rafles, malgré l'interdiction des films, livres, disques autres que ceux "approuvés"... malgré ce qui avait l'apparence d'une vague d'obscurantisme religieux, faisant fermer les universités, proscrire la philosophie, les sciences... malgré tout je voulus croire encore, et je continuai à exprimer cette croyance devant des foules désormais dociles, buvant mes paroles comme si c'était une question de vie ou de mort.
Et bien sûr c'était le cas. J'ai vu ce qu'il advenait des rares qui continuaient à refuser mes paroles. J'ai vu les foules condamner, puis détourner les yeux à la dernière seconde, pour pouvoir nier encore la réalité. J'ai vu l'horreur dans toute sa plénitude : nous étions tous devenus, chacun de nous, les tubulures soigneusement raccordées d'une parfaite machine d'asservissement de l'âme. Et si un des tubes venait à se boucher, si le message ne passait plus... alors il fallait refaire les branchements autrement, purger le système.
Nous avions tous passé le tourniquet entre l'ancien monde et celui-ci, sans nous douter une seule seconde que ça serait pire de l'autre côté.

Ce qui m'a réveillé finalement... je ne sais. Peut-être le doux zéphyr ce matin, le grand soleil, la rêverie qui m'a pris pendant ma promenade matinale. Peut-être le regard affolé des gens qui me croisaient et bien vite récitait La Prière Essentielle. Peut-être rien de tout ça. Qu'importe finalement, l'essentiel est que là, ce soir, allongé auprès de ma femme, je ne cautionne plus les manipulations du nouveau pouvoir en place, je ne serai plus l'instrument de la dictature.

Quand ils viendront nous chercher, ils ne trouveront que deux époux endormis ensemble pour l'éternité. Deux âmes libres.
Et ce soir, à la fin des Anathèmes, ma dernière Prière enregistrée en libèrera d'autres j'espère. C'est tout ce que je pouvais faire.

J'offre à ma femme un verre de cet excellent jus de pomme, dont elle est si friande. Son père était pomiculteur, ce jus lui ramène son enfance toute entière.
Pas de meilleure façon de conclure.
Son regard me sourit, malgré le voile de larmes.
Je bois avec elle.

Puisse Dieu être vraiment aussi miséricordieux que je l'ai toujours cru...
Partager cet article
Repost0

commentaires

G
Lorsque j'ai lu les lignes pour la première fois, il faut dire que j'ai plus eu une impression d'autopersuasion du narrateur, comme si il n'était pas lui même ou sur de lui. J'ai donc, peut être trop vite, interprété une reference a la peur, et a la soumission qu'elle inflige.En relisant, je vois un peu mieux l'idée que tu tente de dégager. Même si il doit y avoir une multitude d'autres interprétations. Quoi qu'il en soit, ton texte est riche, et dégage des choses... Ce qui est loin d'être critiquable.(j'ai eu des problèmes pour poster le message, aussi j'espere qu'il n'y en aura pas deux identiques.)Quoi qu'il en soit, bravo ;)
Répondre
M
merci :-)il y a de multiples interprétations, oui, et heureusement, sinon j'aurais écris un vraiment mauvais texte ;-) et je comprend très bien ton interprétation, mais ce n'était pas ce que j'avais en tête...
G
S'enfermer dans la dévotion a outrance, c'est la fuite.Le suicide, c'est aussi la fuite.Et la fuite c'est la peur des responsabilités, le manque de confiance... Enfin restons en la : C'est la peur.Terrifiés nous sommes juste incapable d'aimer quiconque et de nous aimer nous même, aussi même de detester quoi que ce soit. La religion, comme le totalitarisme, peut sembler protecteur pour certains, et, par moment et par endroits, vont nourrir la peur pour posseder le contrôle.Mais... N'est ce pas un peu de notre faute si on ne veut pas se lever ?
Répondre
M
Mon personnage choisit de rejoindre le Dieu auquel il croit après avoir fait ce qu'il pouvait, à son échelle, pour corriger les conséquences de son propre aveuglement. Il est bien sûr condamnable sur bien des points... je n'ai jamais dit que c'était un saint, et tu as parfaitement raison dans tes jugements et analyses...Oui, nous faisons souvent n'importe quoi, ou acceptons n'importe quoi, par peur... mais la foi ne se résume pas à ça. C'est bien de l'aveuglement qu'il est question... pas de la foi...
G
ah les croyances.... je trouve que ça pourrit l'existance que ça nous renferme...punaise mais euh... t'es méchant, j'sais plus quoi dire moi... c'est trop beau zut...bisous
Répondre
F
Les croyances sont normalement faites pour apporter la paix à un individu, pas l'asservissement et la guerre, la violence, la ségrégation, à une population entière. Mais il y a les croyances et puis il y a l'homme... sale bête...moi, méchant ? naaaaaaaaaaaaan... et puis il m'arrive aussi d'écrire de la m...., souvent... je dois avoir écrit dans ma vie au moins 10 fois plus de textes (sans doute plus) qu'il n'y en a sur ce blog (majoritairement des poésies). Et je dirais bien que les 3/4 de ce que je n'ai pas recopié est bon pour la poubelle... ;-)
D
    le suicide, la seule solution ? terrible !quand on se sent enfermé ! mais j'ai beaucoup aimé ce texte même si je crois beaucoup en une autre solution moins radicale : la fuite !
Répondre
F
dans un monde entièrement contrôlé par "les autres", et après avoir en leur nom été amené à commettre des atrocités... à la fin d'une vie qui se voulait de dévouement, la fuite n'était pas digne. Surtout qu'elle voulait dire tout recommencer, et à leurs âges... Il voulait une fin paisible, chez lui, avec sa femme. Il y avait droit. Même s'il fallait pour cela renier certaines croyances...
D
pas glop l'avenir
Répondre
M
en espérant que ça ne soit pas vraiment l'avenir... mais quand on voit comment ça tourne, dans certains pays... y a de quoi se poser des questions...