23 août 2006
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Et la poussière retourne à la poussière... mais la transition est progressive. D'abord la vie dissout, dilue peu à peu. Et ce qui résiste, la mort le brise. Mais en vérité il ne reste que peu, car, au fil du temps, le vent souffle, la foudre fragmente l'âme, des pans entiers s'égarent on ne sait trop où...
Ils disent qu'on n'y perd ainsi que des illusions, en chemin. Moi, je sais que c'est le goût de vivre lui-même qui se décompose. Juste comme une petite gorgée d'un alcool très fort : on fait durer, on sent toutes les nuances, mais à la fin il ne reste quand même que la brûlure, et un mauvais goût en bouche.
L'alcool a ses gueules de bois, la vie son cercueil. C'est plus définitif, mais ce n'est pas la même matière pour rien.
On perd l'envie, donc... et derrière, la mort qui vient est une délivrance, et plus même : une raison d'espérer et craindre, encore, à nouveau. Une nouvelle aventure, un peut-être. Plus du tout une fin.
Tout est relatif.
Pourtant, il reste la peur, au moment d'éteindre la lumière. Pas de mes propres pensées, oh non... Depuis le temps, on se connait trop bien elles et moi, on se respecte je dirais. Chacun sa tranche horaire, et tout va bien dans le meilleur des mondes. Non, c'est plutôt l'angoisse diffuse que ce soit la dernière fois : ne plus jamais ouvrir les yeux sur la lumière, ne plus me sentir respirer, ni le moindre craquement dans les os, la moindre douleur.
Et puis le lever du soleil. Etonnant comment au crépuscule d'une vie, on en vient de plus en plus à guetter l'aube, à s'en emplir jusqu'à déborder, comme s'il était encore possible de tout recommencer, comme si...
Mais non, je ne pleure pas, fils ! Seulement un peu mal aux yeux
Apporte-moi mes lunettes, s'il te plaît.
Voilà... Où en étais-je ? Ah oui, le lever du soleil.
Ce matin, pour la première fois depuis 30 ans, je l'ai manqué. Pas très grave, peut-être, mais c'est maintenant, alors que les heures me sont comptées, précisément maintenant que j'en aurais eu le plus besoin. Comme de toutes ces petites choses que l'on vous refuse si "raisonnablement" ici. Et rien n'est jamais très grave, non, personne pour s'en plaindre de ceux qui sont passés entre ces murs.
Et pour cause !
Mais ne perdons pas de temps avec ces détails. L'essentiel est ailleurs, qui n'attendra plus très longtemps.
Je me suis souvent interrogé sur les dernières minutes de la dernière heure. Nous y voilà.
Non, ne pleure pas s'il te plaît. Sinon je vais recommencer aussi...
Tu es là, à mes côtés, mon enfant, le plus beau cadeau que la vie puisse faire à un homme. Parfois amer, surtout quand on a tellement peur de mal faire que l'on fait n'importe quoi.
A te voir, là, on dirait quand même que je ne m'en suis pas si mal tiré. Mais il faut bien avouer que si ta mère n'avait pas été là pour rectifier le tir...
Maria.
Elle m'a tant manqué, tu sais ? Ne pleure pas. Il y a un après, bien sûr qu'il y en a un. Aujourd'hui, c'est le début de mon éternité auprès d'elle.
Nous t'attendrons. Le plus longtemps possible.
Allez, embrasse-moi, et laisse-moi faire mon dernier pas, seul, comme je pense qu'on doit tous l'être pour pouvoir le réussir. Je ne voudrais pas arriver devant ta mère en trébuchant ! Tu la connais, avec sa façon de se moquer, si douce...
Le vieil homme est seul maintenant. Avec son grand verre d'eau, ses toutes petites pilules, sa vie entière dans un prénom qu'il murmure, une dernière fois, avant d'avaler.
Son cancer déjà loin derrière lui.
Son fils juste à côté, derrière la vitre, le regarde les yeux noyés. Et lui respire à fond. Encore une fois.
Puis ferme les yeux.
Ils disent qu'on n'y perd ainsi que des illusions, en chemin. Moi, je sais que c'est le goût de vivre lui-même qui se décompose. Juste comme une petite gorgée d'un alcool très fort : on fait durer, on sent toutes les nuances, mais à la fin il ne reste quand même que la brûlure, et un mauvais goût en bouche.
L'alcool a ses gueules de bois, la vie son cercueil. C'est plus définitif, mais ce n'est pas la même matière pour rien.
On perd l'envie, donc... et derrière, la mort qui vient est une délivrance, et plus même : une raison d'espérer et craindre, encore, à nouveau. Une nouvelle aventure, un peut-être. Plus du tout une fin.
Tout est relatif.
Pourtant, il reste la peur, au moment d'éteindre la lumière. Pas de mes propres pensées, oh non... Depuis le temps, on se connait trop bien elles et moi, on se respecte je dirais. Chacun sa tranche horaire, et tout va bien dans le meilleur des mondes. Non, c'est plutôt l'angoisse diffuse que ce soit la dernière fois : ne plus jamais ouvrir les yeux sur la lumière, ne plus me sentir respirer, ni le moindre craquement dans les os, la moindre douleur.
Et puis le lever du soleil. Etonnant comment au crépuscule d'une vie, on en vient de plus en plus à guetter l'aube, à s'en emplir jusqu'à déborder, comme s'il était encore possible de tout recommencer, comme si...
Mais non, je ne pleure pas, fils ! Seulement un peu mal aux yeux
Apporte-moi mes lunettes, s'il te plaît.
Voilà... Où en étais-je ? Ah oui, le lever du soleil.
Ce matin, pour la première fois depuis 30 ans, je l'ai manqué. Pas très grave, peut-être, mais c'est maintenant, alors que les heures me sont comptées, précisément maintenant que j'en aurais eu le plus besoin. Comme de toutes ces petites choses que l'on vous refuse si "raisonnablement" ici. Et rien n'est jamais très grave, non, personne pour s'en plaindre de ceux qui sont passés entre ces murs.
Et pour cause !
Mais ne perdons pas de temps avec ces détails. L'essentiel est ailleurs, qui n'attendra plus très longtemps.
Je me suis souvent interrogé sur les dernières minutes de la dernière heure. Nous y voilà.
Non, ne pleure pas s'il te plaît. Sinon je vais recommencer aussi...
Tu es là, à mes côtés, mon enfant, le plus beau cadeau que la vie puisse faire à un homme. Parfois amer, surtout quand on a tellement peur de mal faire que l'on fait n'importe quoi.
A te voir, là, on dirait quand même que je ne m'en suis pas si mal tiré. Mais il faut bien avouer que si ta mère n'avait pas été là pour rectifier le tir...
Maria.
Elle m'a tant manqué, tu sais ? Ne pleure pas. Il y a un après, bien sûr qu'il y en a un. Aujourd'hui, c'est le début de mon éternité auprès d'elle.
Nous t'attendrons. Le plus longtemps possible.
Allez, embrasse-moi, et laisse-moi faire mon dernier pas, seul, comme je pense qu'on doit tous l'être pour pouvoir le réussir. Je ne voudrais pas arriver devant ta mère en trébuchant ! Tu la connais, avec sa façon de se moquer, si douce...
Le vieil homme est seul maintenant. Avec son grand verre d'eau, ses toutes petites pilules, sa vie entière dans un prénom qu'il murmure, une dernière fois, avant d'avaler.
Son cancer déjà loin derrière lui.
Son fils juste à côté, derrière la vitre, le regarde les yeux noyés. Et lui respire à fond. Encore une fois.
Puis ferme les yeux.