3 septembre 2007
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#022 Darkia (sur forum OB)
Ce texte était à écrire pour le 03/09/2007 (thème communauté "Ecriture ludique")
cabine / favoriser / massacre / langage / lumière / accueil / ami / phénomène / patience / exquis.
L'ensemble des listes reçues dans le cadre du projet "logorallyes", et ce que j'en ai fait jusqu'ici, est consultable ici.
L'eau coulait sans discontinuer depuis des heures déjà. Du fond de la cabine de douche, plus le moindre bruit ne se faisait entendre à travers le déferlement furieux du phénomène liquide. Au début, elle avait hurlé longuement, puis pleuré, les deux ensemble. Maintenant, Marie était recroquevillée en position foetale, se balançant à peine, d'avant en arrière, bouche grande ouverte, sans plus émettre le moindre son.
Son regard était fixe, et comme planté en dedans d'elle-même, profondément. Elle n'avait plus la moindre conscience de l'eau, qui allait peu à peu lui détruire la peau, pas plus que de la pièce autour restée sans lumière, et plus loin encore, des bruits diffus de coups à sa porte, comme les voisins avaient commencé à s'inquiéter de cette douche ininterrompue.
Quelque part au fond d'elle, il restait une toute petite partie à peine lucide, qui n'aurait su dire pourquoi il lui fallait se lever maintenant, sortir de là où elle était, où que cela puisse être, et aller se coucher. Une petite voix qui n'aurait su les mots pour convaincre le reste de son esprit, désormais au delà de tout langage, de toutes pensées.
Elle continuait à se balancer, imperceptiblement, encore et encore et ...
Ses yeux se fermèrent d'eux-mêmes finalement, sans qu'elle perçoive la différence.
Elle s'endormit, là, sous la douche toujours ouverte.
Ils avaient défoncé la porte. Les voisins. Le propriétaire était en vacances, impossible de trouver une clé, et un dimanche soir, pour un serrurier...
Ils avaient coupé l'eau. Puis, le SAMU était venu, et l'avait emmenée.
Marie avait la peau, les chairs, affreusement gorgées d'eau et brûlées. Cela allait être difficile de la soigner, et sans doute la peau ne se réparerait-elle jamais. "Un vrai massacre", avait dit un médecin, la pensant inconsciente, à quelqu'un qu'elle n'avait pas reconnu.
Elle s'était réveillée à l'hôpital, sans savoir précisément quand ni où elle était, ni pourquoi d'ailleurs. Mais une force en elle lui avait imposé la patience. Alors, elle n'avait pas fait de bruit, pas ouvert un oeil, guettant la moindre bribe de voix à son chevet, écoutant son corps également lui raconter sa part de l'histoire, au travers de douleurs qui, malgré les calmants, dépassaient tout ce qu'elle avait pu endurer dans sa vie... pour autant qu'elle s'en souvienne en tout cas.
Elle sortit peu à peu de l'épais brouillard qui avait, un temps, pris sa place dans son esprit.
Pour favoriser sa guérison, les médecins l'avaient entièrement recouverte d'une sorte de bandage absorbant. Il fallait d'abord que l'eau s'évacue pour pouvoir juger de l'étendue des dégâts, elle avait compris le principe dans les mots de ce médecin, continuant à parler à cette autre personne... peut-être sa mère. Elle n'en était pas complètement sûre, mais cette voix lui parlait de famille, d'un lien profond auquel elle ressentait un besoin immense de se cramponner pour ne pas couler.
C'est quand ils parlèrent des traces de coups qu'elle se souvient de tout.
Ce furent d'abord des flashs sans continuité, des sensations éprouvées comme au travers d'un épais manteau cotonneux, diffuses et fuyantes. Elle sous la douche brûlante, hurlant de désespoir... deux corps nus sur un lit, la chaleur des ébats, mais une mauvaise chaleur, le malaise, le refus... un visage dans l'encadrement de la porte, souriant... des vêtements qu'on déchire, des mains qui frappent, contraignent...
Elle sentait monter les larmes, comme la scène se précisait lentement, et que les différentes pièces du puzzle sordide s'agençaient dans le bon ordre.
Elle avait tout préparé pour lui, pour lui faire bon accueil. Ils étaient amis, mais elle n'excluait pas que les choses aillent plus loin entre eux, au contraire. Il lui fallait seulement un peu de temps. Un mariage raté, un ex envahissant, quelques amants de passage arrogants et brutaux, l'avaient incitée à plus de prudence dans ses relations. Elle voulait se reconstruire dans la douceur, ne plus être une chose, mais quelqu'un. Elle voulait tant de choses, et le regard de son ami lui disait qu'il avait bien compris.
Les premiers moments de la soirée avaient été exquis. Ils avaient diné, parlé, ris... un peu bu, aussi. Peut-être trop. Les souvenirs l'emmenèrent vers le canapé, elle et lui verre à la main, riant presque sans interruption.
Puis elle fut prise de nausées violentes, et lutta pour ne pas se rappeler. Mais la mémoire était trop lourde de ces secondes qui avaient bien failli la rendre folle, alors elle ne put que revivre tout, impuissante à endiguer le flot.
Il avait posé son verre, l'avait regardée très longuement, intensément. Puis, ils s'étaient embrassés. Et ce baiser avait été si doux...
Ses mains l'avaient enveloppée de caresses, et elle se sentait au paradis. Ce n'est que quand il avait tenté de lui déboutonner son chemisier qu'elle avait reculé, un peu honteuse, en lui demandant pardon. Elle n'était pas encore prête pour ça.
Lui, si.
Il avait insisté, sans douceur cette fois. Elle avait alors tenté de le repousser, puis, prenant peur, avait couru vers la chambre pour s'enfermer. Et appeler à l'aide. Son portable était là, sur la table de nuit.
Mais il avait été trop rapide pour la suivre, plaçant son pied de manière à bloquer la porte.
Marie était secouée de sanglots maintenant. Bientôt, les médecins allaient l'entendre, et accourir. Elle, toute entière replongée dans l'horreur, revivait seconde après seconde la fin de la soirée. Mais les images se faisaient de plus en plus imprécises, les sensations distantes. Et elle ne voulait pas qu'il en fut autrement.
A quoi bon en effet retrouver la précision des faits, la chronologie exacte ? Aucun mot qui apaise, aucune image qui remplace, même un seul instant, la souffrance du viol. Ses émotions la submergeaient, et elle leur laissait libre cours. Elle devait lâcher complètement prise cette fois, ne pas sombrer encore plus bas en voulant lutter. Il n'était plus l'heure des combats, seulement celle de survivre. Malgré lui.
Il ne l'avait pas brisée. Malgré les insultes, les coups répétés, les tortures diverses... elle avait tenu, sur le fil ténu d'une rage croissante. Et quand il avait eu fini, que le silence était revenu, seulement troublé par leurs respirations, et les bruits qu'il faisait en se rhabillant, cette même rage avait pris le contrôle et lui avait fait payer cher ce qu'il venait de lui faire subir.
Pendant tout le temps qu'il tentait par la force de se l'approprier, n'y parvenant que trop imparfaitement à son goût, ce qui avait redoublé la violence des coups, elle n'avait eu qu'une seule idée en tête, une idée très sombre, tranchante, qui l'avait fait tenir jusque là.
Le revolver dans la table de nuit.
Alors quand il se retourna un instant, cherchant son pantalon, elle bondit sans hésiter, sortit l'arme, et, comme il la regardait à présent, acheva de vider le chargeur avant même qu'il ait réalisé qu'il mourait.
Son regard affolé de bête traquée prise au piège l'avait vengée, au delà de ses espérances les plus folles.
Mais elle se sentait si sale, tellement insupportablement...
Ils l'avaient retrouvée sous la douche, elle se souvenait maintenant. De tout.
Marie ignorait tout de ce qui allait lui arriver, maintenant : son corps détruit par l'eau, la police, son geste... beaucoup de conséquences à assumer, beaucoup d'heures à traverser qui demanderaient une volonté de fer, mais ne dépendraient pourtant plus d'elle.
Prenant sa respiration à fond, elle décida néanmoins qu'il était temps qu'elle affronte, qu'elle fasse le premier pas sur le long chemin qui, peut-être, un jour, si elle avait enfin un peu de chance, l'éloignerait du cauchemar.
Alors elle ouvrit les yeux, à l'instant précis où le médecin entrait dans sa chambre, suivi de sa mère...
Ce texte était à écrire pour le 03/09/2007 (thème communauté "Ecriture ludique")
cabine / favoriser / massacre / langage / lumière / accueil / ami / phénomène / patience / exquis.
L'ensemble des listes reçues dans le cadre du projet "logorallyes", et ce que j'en ai fait jusqu'ici, est consultable ici.
L'eau coulait sans discontinuer depuis des heures déjà. Du fond de la cabine de douche, plus le moindre bruit ne se faisait entendre à travers le déferlement furieux du phénomène liquide. Au début, elle avait hurlé longuement, puis pleuré, les deux ensemble. Maintenant, Marie était recroquevillée en position foetale, se balançant à peine, d'avant en arrière, bouche grande ouverte, sans plus émettre le moindre son.
Son regard était fixe, et comme planté en dedans d'elle-même, profondément. Elle n'avait plus la moindre conscience de l'eau, qui allait peu à peu lui détruire la peau, pas plus que de la pièce autour restée sans lumière, et plus loin encore, des bruits diffus de coups à sa porte, comme les voisins avaient commencé à s'inquiéter de cette douche ininterrompue.
Quelque part au fond d'elle, il restait une toute petite partie à peine lucide, qui n'aurait su dire pourquoi il lui fallait se lever maintenant, sortir de là où elle était, où que cela puisse être, et aller se coucher. Une petite voix qui n'aurait su les mots pour convaincre le reste de son esprit, désormais au delà de tout langage, de toutes pensées.
Elle continuait à se balancer, imperceptiblement, encore et encore et ...
Ses yeux se fermèrent d'eux-mêmes finalement, sans qu'elle perçoive la différence.
Elle s'endormit, là, sous la douche toujours ouverte.
Ils avaient défoncé la porte. Les voisins. Le propriétaire était en vacances, impossible de trouver une clé, et un dimanche soir, pour un serrurier...
Ils avaient coupé l'eau. Puis, le SAMU était venu, et l'avait emmenée.
Marie avait la peau, les chairs, affreusement gorgées d'eau et brûlées. Cela allait être difficile de la soigner, et sans doute la peau ne se réparerait-elle jamais. "Un vrai massacre", avait dit un médecin, la pensant inconsciente, à quelqu'un qu'elle n'avait pas reconnu.
Elle s'était réveillée à l'hôpital, sans savoir précisément quand ni où elle était, ni pourquoi d'ailleurs. Mais une force en elle lui avait imposé la patience. Alors, elle n'avait pas fait de bruit, pas ouvert un oeil, guettant la moindre bribe de voix à son chevet, écoutant son corps également lui raconter sa part de l'histoire, au travers de douleurs qui, malgré les calmants, dépassaient tout ce qu'elle avait pu endurer dans sa vie... pour autant qu'elle s'en souvienne en tout cas.
Elle sortit peu à peu de l'épais brouillard qui avait, un temps, pris sa place dans son esprit.
Pour favoriser sa guérison, les médecins l'avaient entièrement recouverte d'une sorte de bandage absorbant. Il fallait d'abord que l'eau s'évacue pour pouvoir juger de l'étendue des dégâts, elle avait compris le principe dans les mots de ce médecin, continuant à parler à cette autre personne... peut-être sa mère. Elle n'en était pas complètement sûre, mais cette voix lui parlait de famille, d'un lien profond auquel elle ressentait un besoin immense de se cramponner pour ne pas couler.
C'est quand ils parlèrent des traces de coups qu'elle se souvient de tout.
Ce furent d'abord des flashs sans continuité, des sensations éprouvées comme au travers d'un épais manteau cotonneux, diffuses et fuyantes. Elle sous la douche brûlante, hurlant de désespoir... deux corps nus sur un lit, la chaleur des ébats, mais une mauvaise chaleur, le malaise, le refus... un visage dans l'encadrement de la porte, souriant... des vêtements qu'on déchire, des mains qui frappent, contraignent...
Elle sentait monter les larmes, comme la scène se précisait lentement, et que les différentes pièces du puzzle sordide s'agençaient dans le bon ordre.
Elle avait tout préparé pour lui, pour lui faire bon accueil. Ils étaient amis, mais elle n'excluait pas que les choses aillent plus loin entre eux, au contraire. Il lui fallait seulement un peu de temps. Un mariage raté, un ex envahissant, quelques amants de passage arrogants et brutaux, l'avaient incitée à plus de prudence dans ses relations. Elle voulait se reconstruire dans la douceur, ne plus être une chose, mais quelqu'un. Elle voulait tant de choses, et le regard de son ami lui disait qu'il avait bien compris.
Les premiers moments de la soirée avaient été exquis. Ils avaient diné, parlé, ris... un peu bu, aussi. Peut-être trop. Les souvenirs l'emmenèrent vers le canapé, elle et lui verre à la main, riant presque sans interruption.
Puis elle fut prise de nausées violentes, et lutta pour ne pas se rappeler. Mais la mémoire était trop lourde de ces secondes qui avaient bien failli la rendre folle, alors elle ne put que revivre tout, impuissante à endiguer le flot.
Il avait posé son verre, l'avait regardée très longuement, intensément. Puis, ils s'étaient embrassés. Et ce baiser avait été si doux...
Ses mains l'avaient enveloppée de caresses, et elle se sentait au paradis. Ce n'est que quand il avait tenté de lui déboutonner son chemisier qu'elle avait reculé, un peu honteuse, en lui demandant pardon. Elle n'était pas encore prête pour ça.
Lui, si.
Il avait insisté, sans douceur cette fois. Elle avait alors tenté de le repousser, puis, prenant peur, avait couru vers la chambre pour s'enfermer. Et appeler à l'aide. Son portable était là, sur la table de nuit.
Mais il avait été trop rapide pour la suivre, plaçant son pied de manière à bloquer la porte.
Marie était secouée de sanglots maintenant. Bientôt, les médecins allaient l'entendre, et accourir. Elle, toute entière replongée dans l'horreur, revivait seconde après seconde la fin de la soirée. Mais les images se faisaient de plus en plus imprécises, les sensations distantes. Et elle ne voulait pas qu'il en fut autrement.
A quoi bon en effet retrouver la précision des faits, la chronologie exacte ? Aucun mot qui apaise, aucune image qui remplace, même un seul instant, la souffrance du viol. Ses émotions la submergeaient, et elle leur laissait libre cours. Elle devait lâcher complètement prise cette fois, ne pas sombrer encore plus bas en voulant lutter. Il n'était plus l'heure des combats, seulement celle de survivre. Malgré lui.
Il ne l'avait pas brisée. Malgré les insultes, les coups répétés, les tortures diverses... elle avait tenu, sur le fil ténu d'une rage croissante. Et quand il avait eu fini, que le silence était revenu, seulement troublé par leurs respirations, et les bruits qu'il faisait en se rhabillant, cette même rage avait pris le contrôle et lui avait fait payer cher ce qu'il venait de lui faire subir.
Pendant tout le temps qu'il tentait par la force de se l'approprier, n'y parvenant que trop imparfaitement à son goût, ce qui avait redoublé la violence des coups, elle n'avait eu qu'une seule idée en tête, une idée très sombre, tranchante, qui l'avait fait tenir jusque là.
Le revolver dans la table de nuit.
Alors quand il se retourna un instant, cherchant son pantalon, elle bondit sans hésiter, sortit l'arme, et, comme il la regardait à présent, acheva de vider le chargeur avant même qu'il ait réalisé qu'il mourait.
Son regard affolé de bête traquée prise au piège l'avait vengée, au delà de ses espérances les plus folles.
Mais elle se sentait si sale, tellement insupportablement...
Ils l'avaient retrouvée sous la douche, elle se souvenait maintenant. De tout.
Marie ignorait tout de ce qui allait lui arriver, maintenant : son corps détruit par l'eau, la police, son geste... beaucoup de conséquences à assumer, beaucoup d'heures à traverser qui demanderaient une volonté de fer, mais ne dépendraient pourtant plus d'elle.
Prenant sa respiration à fond, elle décida néanmoins qu'il était temps qu'elle affronte, qu'elle fasse le premier pas sur le long chemin qui, peut-être, un jour, si elle avait enfin un peu de chance, l'éloignerait du cauchemar.
Alors elle ouvrit les yeux, à l'instant précis où le médecin entrait dans sa chambre, suivi de sa mère...