Texte écrit dans le cadre du défi créatif d'aout 2023.
Chaque jour a sa couleur.
J’ai démarré ce matin avec un grand café bien corsé, accompagné de deux bâtons de chocolat. Cela n’a pas suffi à chasser mes sombres pensées, mais au moins cela m’a réveillée et suffirait à me tenir debout. D’habitude je mangeais plus, mais j’avais le cœur au bord des lèvres aujourd’hui.
Puis, je me suis préparée, avec les vêtements prévus pour l’occasion, une veste et des chaussures assorties, du fond de teint mais quasi pas de maquillage. Après tout, je n’allais pas au bal. Même si métaphoriquement, ce serait ma dernière danse avec toi. Je ne sais plus lequel de mes frères m’avait sorti ça, hier. Mes pensées se mélangeaient. Mais peu importe, il se trompait. Ce n’était pas une danse, ou alors tu avais été maladroit pour la première fois de ta vie et tu étais tombé.
Tout le monde chuchotait autour de moi. Il faut dire qu’après ma crise de colère d’hier soir, ils ne devaient plus savoir comment me parler. Ils m’attendaient. Nous étions un petit peu en retard sur le planning militaire que mon père nous avait annoncé en fin de soirée, avant que je le remette à sa place. Ce n’était pas lui qui décidait, cette fois. La cérémonie n’avait aucune chance de commencer sans moi.
Nous partîmes finalement, directement vers le crematorium. Je n’avais pas souhaité accompagner le cercueil, à quoi bon ? Puis j’avais du mal à tenir debout moi-même, alors j’aspirais seulement à un moment de recueillement où nous serions tous assis, dans un bel endroit que tu aurais aimé. Pas debout autour de ton cercueil, rien que l’idée était un calvaire.
J’avais du mal à penser à quoi que ce soit. Même à toi, je n’y arrivais pas. Je fonctionnais, j’allais où je devais, mais je n’étais pas vraiment là. Comme dans les cauchemars que je faisais avant de te connaître, où je n’étais que spectatrice des évènements, où j’avais beau faire et dire et même crier et frapper, personne ne remarquait ma présence et ne tenait compte de mes mots.
Au crématorium, tout était prêt et la cérémonie pu avoir lieu. Il y eut des larmes, de ta famille principalement. On m’observait, je le sentais bien. Moi, j’avais déjà pleuré tellement au cours des deux derniers mois que j’étais un puit à sec, sans la moindre capacité à réagir, sans énergie. Qu’ils pleurent, donc, je ne leur ferais pas concurrence. J’aurais préféré qu’ils soient là, à ton chevet, dans les derniers moments. Tu les avais réclamé à de nombreuses reprises. Mais ils n’avaient pas voulu comprendre la gravité de ton état, l’urgence à être présents. Ils étaient tous très occupés, ils viendraient pendant le week-end, si c’était possible…
Tu étais mort en te sentant abandonné en partie. Je ne leur pardonnerais pas.
J’avais refusé de subir les condoléances des invités. Mes frères faisaient barrage, expliquant que j’étais « en état de choc », d’humeur « fluctuante », qu’il ne fallait pas en rajouter.
La cérémonie se termina par la dispersion des cendres, dans le parc adjacent, sur une portion près d’un grand arbre. J’y avais tenu. Tu aurais beaucoup aimé.
Le ciel avait adopté les mêmes tons que nos vêtements et l’humeur du jour. Bientôt, un éclair traversa l’horizon et nous eûmes juste le temps de retourner nous abriter dans le bâtiment avant que la pluie nous transperce.
Nous restâmes là à attendre, dans le hall, pendant plus d’une heure, avant de pouvoir rejoindre les voitures.
Puis nous partîmes.
Une fois rentrée, je montai sans un mot, m’allongeai sur le lit, et m’endormit ainsi, toute habillée. J’espérais rêver de toi mais ce ne fut pas le cas.
Chaque jour a sa couleur. Ma nuit eut la même que cette journée.
Noir.