Texte écrit dans le cadre du recueil "Chemin de rêves" Première publication le 16/10/2008 02 - 15/09/2007 - "Si tout va bien" Ecriture sur image (Polly) Il s'agissait pour cet exercice de s'inspirer de l'image ci-contre, de l'affiche complète ou juste de son titre, pour écrire un texte. J'étais sur le départ, et comme le moment approchait, la tension devenait de plus en plus palpable dans la maison. Je n'avais pas le choix, mais cela ne rendait pas pour autant les choses plus faciles, au contraire. Marie me regardait en silence, les yeux brillant des larmes qu'elle retenait, pourtant, pour ne pas inquiéter Kevin, qui du haut de ses 7 ans, était planté entre moi et la porte, avec un air d'incompréhension et de défi mêlé. - Alors je ne vais plus te voir, Papa ? Jamais ? - On en a déjà parlé Kevin... ce n'est pas une décision facile à prendre, mais il le faut. - mais je ne comprend pas pourquoi il le faut si ça rend tout le monde triste ! |
Je gardai le silence. Marie s'approcha de notre fils et lui murmura des choses douces à l'oreille, tentant de l'apaiser. Mais ce n'était pas si facile. Et les questions reprirent :
- et donc... tu vas mourir, demain ?
- si tout va bien, oui...
je m'arrêtai un instant, conscient de l'horreur de cette réponse, mais j'avais décidé d'être totalement honnête avec mon fils dans les derniers moments, car le mensonge et la dissimulation sont pires, sur le long terme, que la plus atroce des vérités
- et pourquoi tu pars si tôt alors ?
- Il y a la sélection, Kevin... beaucoup de tests à passer avant qu'ils ne décident
- et bien j'espère que tu vas les rater, les tests !
Cette réplique me déchira et m'épouvanta, tout autant qu'elle fit apparaître comme un écho dans les yeux de ma femme.
Je ne voulais pas mourir, non. Mais c'était le mieux pour tous. Marie le savait aussi bien que moi, mais elle ne pouvait s'empêcher d'espérer, bien sûr... comme moi-même j'espérais, au fond, en refusant de l'avouer, parce que j'ignorais comment nous ferions si les tests n'étaient pas bons, si on me refusait dans le programme.
Kevin s'écarta finalement de la porte, à contrecoeur... j'embrassai Marie une dernière fois, la serrai dans mes bras, puis mon fils... et je sortis sans me retourner.
Quelques mois plus tôt, je trouvais comme tous que le programme était une horreur sans nom, le summum de la politique cynique de gouvernants incapables et désespérés, tentant à tout prix de reprendre le contrôle d'une situation qui leur avait pourtant entièrement échappé déjà, sans qu'ils ne veuillent l'admettre.
Le principe était monstrueusement simple : il n'y avait plus d'emploi pour tous, la misère rongeait le pays, et chaque foyer était durement touché. L'état ne pouvait laisser presque 90% de la population sans ressources. Alors il payait.
Mais à ces sommes s'ajoutaient les dépenses astronomiques de l'assurance maladie, et tout ce qu'une population peut coûter à la société en une vie.
Alors l'état avait proposé aux gens intéressés, agés de 30 ans au minimum, le marché suivant : s'ils choisissaient de mourir, la moitié du coût estimé du reste de leur vie serait reversé par échelonnement à leur famille, sous forme d'allocations mensuelles calculées sur une base de 20 ans, mais qui seraient versées jusqu'à la mort du dernier membre restant de la famille.
Les allocations normales ne cesseraient pas pour la famille, et la situation économique de ses membres deviendrait donc bien meilleure.
Les gens étaient désespérés, et il y eut très vite beaucoup trop de candidats. Alors l'état rajouta une condition : "réussir" les tests de la sélection.
Et là aussi, les tests étaient extrèmement simples dans leur principe.
On commençait d'abord par calculer l'espérance de vie de l'individu, basée sur son âge, son état de santé physique et mentale, son héritage génétique, son lieu de vie, ses attaches familiales... le nombre de critères était énorme, mais on arrivait à un chiffrage assez précis.
Ensuite, sur base également de très nombreux critères, dont beaucoup communs et liés à la santé et comment elle risquait d'évoluer, on évaluait ce que l'individu coûterait au total pendant ses années.
Si ce chiffre était inférieur à la moyenne (coût global de la population / nombre de citoyens), les tests étaient terminés et la personne rentrait chez elle sans rien.
Pour les autres, une deuxième étape consistait à vérifier que les individus ne pouvaient plus, par leurs aptitudes physiques, morales ou intellectuelles, être utiles à la société. Si une quelconque utilité leur était trouvée, le programme leur imposait un travail d'intérêt collectif, qu'ils ne pouvait pas refuser. Mais en échange ils restaient en vie et étaient payés, jusqu'à ce que l'état n'aie plus besoin d'eux, et leur fasse (s'ils le souhaitaient toujours) repasser le test.
J'avais peu à peu changé d'avis sur le programme, en voyant certains de mes amis le choisir, pour le bien de leur famille, et celles-ci sortir de la misère noire où moi et les miens étions plongés, jusqu'à ne pas pouvoir manger certains jours.
Et puis ce qui m'avait finalement décidé était ma dernière visite de contrôle chez le médecin.
Convaincre Marie n'avait pas été simple. Mais elle dut bien admettre qu'entre me perdre dans 10 ans (mais après avoir supporté la dégradation rapide de mon état jusqu'à ce que je ne puisse plus m'occuper de moi, ni même être contrôlé en environnement normal, jusqu'à ce que je doive être placé en centre spécialisé pour les 8 à 9 dernières années de ma vie), et que je parte tout de suite, mais en les mettant elle et Kevin à l'abri financièrement, il y avait un choix raisonnable à faire.
Ma maladie génétique me condamnait, j'allais coûter un montant astronomique si je restais vivant. Cette fortune serait bien mieux employée à nourrir ma famille.
Je suis attaché à mon lit, en proie à une nouvelle crise, encore plus douloureuse que les précédentes. Les derniers médicaments que l'on a testé ne sont manifestement pas plus efficaces contre la maladie dont je souffre que les nombreux autres testés avant, mais les médecins sont satisfaits, ils disent qu'il y a un progrès notable.
Je ne suis pas mort. A la place, le programme m'a imposé ce travail d'intérêt public de cobaye dans un centre de recherche médical d'état.
Les médicaments que l'on me donne ne sont pas du tout destinés à me soigner, mais plutôt à tester leur non-dangerosité sur quelqu'un de toute façon condamné, pour pouvoir ensuite les utiliser pour guérir d'autres personnes.
Ma famille touche mon salaire, assez bon, meilleur que la prime qu'ils auraient eu si j'étais mort. J'en ai eu confirmation par Marie elle-même, avant que mon état ne se détériore trop et que les visites ne soient plus admises. Je refusai également qu'elle vienne me voir à travers la vitre, je ne voulais pas qu'elle assiste à ma déchéance.
Je ne suis de toute façon plus souvent conscient, abruti par la douleur et la chimie qui remplace peu à peu mon sang.
J'aurais vraiment préféré mourir. Ou ne pas choisir de m'inscrire, et vivre encore un peu avec ma femme et mon fils.
Mais les médecins me promettent régulièrement qu'un jour, j'aurai moi aussi un médicament pour me guérir. Ils seraient en train d'en tester un sur d'autres cobayes, pour vérifier qu'il n'est pas nocif.
J'hésite à les croire. Mais après tout on verra bien.
Je n'ai de toute façon plus le choix : je dois subir. Ils ne me tueront pas, c'est ma maladie qui le fera si aucun remède n'est trouvé. Alors un peu d'espoir, aussi ténu soit-il, est bon à prendre, pour pouvoir m'y accrocher - comme à la lueur ténue d'un dernier phare allumé, là-bas, très loin, dans la nuit d'encre de mes atroces souffrances...