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Ce blog et les écrits qu'il contient sont mis à disposition par Michel Bosseaux (l'auteur) selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
 
 

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19 août 2007 7 19 /08 /août /2007 18:55
C'est l'histoire d'un coucou tout usé dans une vieille horloge. Nul ne sait comment elle fonctionne, ni comment elle a pu survivre aussi longtemps, mais toujours est-il que le coucou, à heure fixe, continue de marquer le passage du temps, meublant un peu cette maison à vrai dire trop grande pour ses occupants.

Mais un jour on s'avisa que le silence régnait depuis trop longtemps dans la maison. Ce n'était pas normal, quelque chose manquait.
Et en effet, le coucou s'était tu.

Cela plongea la famille dans la tristesse.

On fit venir un réparateur de coucous, grand spécialiste, un des derniers du genre, qui demanda à rester seul un instant avec le petit oiseau mécanique ... « des fois qu'il aurait encore la force de dire quelque chose ».
On ne contraria pas le spécialiste, et toute la famille se retira.

Peu de temps après, l'homme revint en annonçant que le coucou avait demandé à ne pas être réparé ... lassé depuis si longtemps de lancer son « coucou » enjoué en espérant une réponse qui ne venait jamais.

On répara quand même le coucou (le spécialiste avait trop besoin d'argent pour faire la fine bouche). On lui fit promettre qu'à l'avenir, on lui répondrait.

Et en effet des efforts furent faits, et tout était pour le mieux.

Mais un jour, naturellement, tout redevint comme avant. Et une nouvelle panne survint.
Alors on fit revenir le réparateur.

Le verdict évidemment fut le même. Mais, comme la fois précédente, on le contraignit à réparer le coucou. Ce qu'il fit, en promettant de nouveau que tout irait mieux.

Et le coucou fonctionna une nouvelle fois. On lui répondit. Et tout était pour le mieux.

Mais peu après cet unique fonctionnement, à la stupeur générale, ce fut l'horloge qui s'arrêta. Comme le réparateur de coucous connaissait un peu ce modèle, on le fit venir aussi.
Il prit son temps cette fois pour établir son diagnostic, et délivra finalement les conclusions suivantes :

Après concertation avec le coucou, l'horloge avait choisi d'arrêter les battements de son coeur mécanique, pour que le coucou vive éternellement cet instant parfait, où il avait été aimé de tout le monde.

Malgré tous les efforts qui furent faits (contre payements), on ne put jamais réparer l'horloge, qui fut finalement remplacée par un modèle à pile, faisant « coucou » grâce à un mini haut-parleur incorporé. Personne ne prit jamais la peine de lui répondre.

Jamais ce coucou-là ne s'en plaignit.

16/07/2001



Si l'on y met assez de moyens, on finit toujours par obtenir ce qu'on voulait. Mais selon les moyens employés, ce peut ne plus être exactement ce que l'on voulait au départ.

Recevoir n'est pas prendre.


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11 août 2007 6 11 /08 /août /2007 05:24
Il faut que je lui écrive aujourd'hui. Cela fait déjà trop longtemps que je tergiverse, à jouer sur le manque de mots, la faiblesse du style, ma propre insuffisance... J'avoue : j'ai peur. Alors je m'accroche à tous les prétextes qui passent... fatigué, pas le temps, pas une minute de calme pour penser... "et puis l'inspiration, ça ne se commande pas !".

Comme s'il s'agissait de cela...

Mes amis ne disent rien, mais je vois bien le demi-sourire des uns, les regards de connivence des autres. Ils se moquent, et sans doute à leur place, moi aussi.


Il faut que je lui écrive. Et je n'ai toujours aucune idée de quoi... et j'ai peur. Pas de sa réaction, bien sûr, nous n'en sommes plus là, mais plutôt de la mienne face au caractère définitif des mots.
Mais au fond je ne suis pas dupe, je me mens c'est évident : je sais exactement quoi écrire, et je sais le pourquoi à la perfection.

Alors puisque ma décision est prise, pourquoi reculer encore ?

Je maudis ma timidité, je prends ma plus belle plume, et cette fois j'écris.



Quand elle est partie, elle m'a expliqué que ce n'était pas tant pour me quitter, mais pour que je renoue avec moi. A ses yeux, il paraît que je m'étais perdu, et comme elle ne voulait pas ainsi me voler à moi-même, mais plutôt "ajouter ses notes à la partition en toute harmonie", elle me chanta cet "au revoir" mélomane, et me laissa à mon vide.

Bien sûr, elle avait raison. En dehors d'elle, j'ignorais tout de moi. L'ayant trouvée avant de m'apprendre, de fuites en détours, de mirages en mensonges, je n'étais même pas moi.
Appelez-moi "personne" !

Quand elle est partie, elle m'a laissé le miroir de ces mots. Et son adresse, si un jour je trouvais le courage de regarder dans le miroir "la réponse qui sans doute te crève les yeux, déjà".

Elle avait raison. Peut-être tort, aussi, mais je n'en jurerais pas.

En tout cas, dans les 6 mois de son absence, je me suis beaucoup fréquenté, j'ai découvert quelqu'un de finalement 'habitable", sans aucun besoin de la béquille des autres pour avancer. Ces autres que je n'avais pas voulu réduire à ce rôle, justement, raison pour laquelle j'étais si souvent seul avant, sans amis, reclu dans mon 30m², déjà mort.

M'étant trouvé, j'ai pu trouver le chemin vers les autres.


Aujourd'hui, je ne suis plus jamais seul. Il arrive d'ailleurs que cela me manque, mais pas trop, comme cette nostalgie un peu malsaine, décalée, que l'on a parfois pour d'anciennes habitudes, même douloureuses. Comme une tendresse, à travers elle, pour un passé qui manquera toujours, de n'avoir pas pu être quelqu'un d'autre. Une voix dans la tête qui dit "dommage", puis passe à autre chose.

Non, aujourd'hui, je ne suis plus seul. Et je pense à elle, au cadeau qu'elle m'a fait malgré moi, à ces mots qu'elle attend pour que je le lui partage, pour que ce soit également le sien.
Je pense à cette lettre.

Finalement écrite.

Je pense que je serais mieux inspiré de ne plus trop penser, à présent. Dans une heure, Paul passe me prendre pour notre soirée théatre. Il est temps que je me prépare



Quelques jours plus tard, dans une petite chambre d'hôtel à l'autre bout du monde.

Une femme, assise sur un lit, hésite, une lettre à la main.

Elle a peur, infiniment. Mais après tout, c'est bien elle qui a voulu que les choses soient ainsi. Alors même si, désormais, elle ne sais plus trop si c'était mal ou bien, elle doit assumer ce pari tenté il y a déjà 6 mois de cela.

Elle a peur de mots qui ne seraient que des mots, une passion mal éteinte et une solitude trop grande accrochées au papier. Elle a peur d'elle-même aussi, qui veut y croire encore, malgré tout.

Elle prend sa respiration. "Au diable les doutes !".

Il lui a trop manqué.

La feuille à la main, elle reste une minute interdite. Comme morte.

Puis elle éclate en sanglots.




Ce même hôtel, une heure plus tard, même chambre.
Une femme de ménage redonne au lieu l'apparence ordinaire d'une chambre dans cet hôtel. Bien rangée, propre, même trop sans doute. "Chiante", pense-t-elle pour la 1000ème fois au moins.

Soudain son regard accroche, sur la table de nuit, une feuille manuscrite visiblement oubliée par la jeune cliente, lors de son départ si précipité.

Elle n'hésite pas longtemps, s'assied, et prend la feuille. C'est une lettre.




Paris, 23 mars 2005

Sandra chérie,

L'homme que tu as connu n'existe plus, désormais. Il n'était pas vraiment fait pour cela.

Avant de me confier la suite de ses jours, il m'a beaucoup parlé de toi.


A travers lui d'abord, pour moi seul aujourd'hui, je dois te l'avouer : je t'ai aimée. Je t'aime encore.


Ceci est le chant d'un inconnu qui te connait par coeur, déjà, mais rêve d'une première rencontre. S'il te plaisait de faire, à toi aussi, sa connaissance, pour continuer la partition...


Déjà nôtre

Vincent

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16 janvier 2007 2 16 /01 /janvier /2007 15:44

Ce texte a été écrit dans le cadre d'un atelier d'écriture. Un des buts était de s'inspirer de l'image ci-contre.



J'arrive un jour trop tard, Le Prêtre est déjà passé ici. Je le sens à l'instant où j'aperçois la sortie de la grotte, et le promontoire au dessus des eaux. C’est comme une sensation d'étouffement.

La Bénédiction.

D'après la force de l'étreinte, cela remonte à hier matin.

Sans cesser d'avancer, je récite l'invocation, cruel mot de passe : en cas d'erreur, je mourrai instantanément.

Du coin de l'œil, j'aperçois, à la lumière grandissante de la lune, les squelettes de quelques intrus qui n’avaient eu aucune chance …

Quelques secondes passent. Je m'arrête sur le promontoire, respirant à nouveau. Je n’ai pas fait d’erreur. Je me retourne et Bénis la grotte à mon tour.

Je peux maintenant ouvrir La Valise.

Elle est exactement là où Le Prêtre me l'avait annoncé, si jamais je ne le trouvais pas ...
Pensant à l'ampleur de ma tâche, je tremble ... mais je ne dois surtout pas me laisser distraire ...

Le rituel commence.

J'ouvre La Valise. Rien ne manque. D'un geste assuré, je sors L'Echelle des âmes. Trop d'hommes au cours du temps n'ont vu en Elle qu'une simple corde ... et l'ont regretté amèrement.
Je la dépose respectueusement à mes pieds.
Ensuite, j’enfile la toge et je sors La Dague d'Alliance.

J'hésite un peu, mais la voix du Prêtre, dans ma tête, me répète l’importance vitale d’aller jusqu’au bout … sinon …
Alors je trace Le Signe dans la paume de ma main, et commence La Grande Prière, laissant mon sang s'écouler sur l'Echelle ... Je ferme les yeux, et la sens qui enserre mes chevilles, serpente lentement le long de mes jambes, jusqu'à mes cuisses, me prend par la taille, puis, s'élève jusqu'à mon épaule droite. Je sais que je ne dois pas la regarder pendant l’élévation … Le Prêtre ne m’a pas dit pourquoi, mais j’ai la certitude qu’en effet ça ne serait pas prudent ….

Je suis sur la bonne voie. Elle est Heureuse d'être là, sur mon épaule, Heureuse d'entendre une nouvelle fois ces mots ... Elle me prend dans Sa Joie.

Tout cela semble durer des heures, mais je perd la notion du temps, comme L'Echelle me dédouble et m'éveille ...

C'est sans volonté propre que je retire de la valise le flacon et la photographie intégralement noire. Je ne sais où se trouve La Dague à présent, mais ce n’est pas important. Rien ne se perd ici, me chante L'Echelle ...

J'ouvre le flacon, dont j'ignore le contenu, et le verse goutte à goutte sur le coté face de la photo, en reprenant, plus lentement cette fois, la fin de La Grande Prière ... je touche au but je le sais ... Il ne me reste plus qu'à visualiser Aurore, et ...

soudain je comprends tout.

***

Désormais je suis moi aussi un Prêtre. J'ai suivi Le Chemin des Elus vers Aurore, le monde supérieur.

Je suis ici, et en même temps toujours en bas, reparti dans le vaste monde. Je cherche Les Suivants. Je ne suis pas seul à chercher.

Nous sommes nombreux ici, un par jour ...

Les Suivants aussi croiront être un jour trop tard, dans cette grotte ... ignorant que Le Chemin ne peut s'accomplir que seul, que La Valise ne reconnaît qu'un seul maître à la fois.

La Valise, qui chaque fois retrouve, dans l'étreinte de La Bénédiction, sa forme originelle, comme si personne n'y avait touché avant. Attendant la nuit suivante pour œuvrer.

Et tant que durera le cycle, tant qu'il y aura Les Suivants ... il y aura le jour après la nuit, le soleil après la lune.
Il y aura Aurore.


 

24/07/2004

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7 juillet 2005 4 07 /07 /juillet /2005 11:32
Ce matin, Henry s'est levé comme d'habitude, pour aller travailler. Ce n'est pas un travail très bien payé, il n'y met donc pas plus de motivation que cela, et ses pas sont comme d'habitude traînant jusqu'à la salle de bain. Mais en Angleterre aujourd'hui, l'essentiel est d'avoir un travail.
Comme d'habitude, il en prend un peu trop à son aise pour se laver, et sa femme finit par tambouriner à la porte. Alors il achève de se raser en maugréant, et sort.

Breakfast en lisant son journal, le chien qui mendie quelques miettes, le chat qui vient gentiment lui tirer la queue. Tout est comme d'habitude. Jusqu'à sa femme qui court, court, aussi stressée que tous les matins. Elle vient de trouver un nouvel emploi, facilement, mais la difficulté c'est de le garder. Tout est tellement précaire. Elle a fait 6 places en autant de mois. Finalement il n'a pas à se plaindre, lui : depuis un an, il a le même patron.

Il part travailler, à pied. La voiture, c'est impensable à Londres, donc il va à pied, avec sa femme. La station de métro n'est pas loin. Il a emporté un petit livre de poche, pour passer le temps dans les transports. Il en a environ pour une heure en comptant l'attente, et il pourra lire environ trente-cinq minutes dans cet intervalle. Comme d'habitude. Sa femme ne prend pas la même ligne que lui.

Mais ce matin il n'attendra pas trop, la rame arrive juste comme il achève de descendre l'escalier du quai. Il monte, se cale contre la porte de l'autre coté, celle qui ne s'ouvre pas, et ouvre son livre.

Quelques pages et puis descendre, changer de quai, attendre l'autre rame. Qui traîne, comme d'habitude. Cette ligne est mal desservie en proportion du nombre de passagers. Ca lui permet de lire encore deux pages. Il a presque fini son livre, il va enfin savoir qui était le meurtrier de Pamela, l'hôtesse de l'air.

Le métro arrive finalement, il monte, se cale comme il peut, et continue sa lecture, avide.

Complètement pris par ses habitudes, indifférent à ce qui se passe autour de lui, Henry n'a même pas vu cet homme monter à la dernière station, avec son sac. Pourtant ce sac, il l'a quasiment à ses pieds maintenant, tandis que l'homme l'observe en marmonnant tout bas. Mais il ne remarque rien.

Sauf quand le passager juste en face est projeté contre lui au moment d'un choc. Il peste intérieurement, et s'apprête à le repousser, quand soudain...

... soudain un grand éclair, une vague de chaleur, le bruit, puis le métro est plongé dans le noir, et les cris commencent.



Lui, il ne remarque rien du tout. Il ne remarque même plus son livre, complètement détruit par le souffle de l'explosion. Pas plus que l'état de son corps. Il aurait du être tué sur le coup, mais cet homme effondré sur lui l'a en partie protégé. N'empêche, cela ne le sauvera pas longtemps. Il n'entend plus rien, ne voit pas bien. Il ne sait pas du tout ce qui s'est passé.
Il sait juste qu'il a atrocement mal, que la chaleur semble monter de plus en plus et... oui c'est le feu...

Henry ne saura jamais le nom de l'assassin de Pamela. Pas plus qu'il ne saura ce qui l'a tué, lui, ce matin où il se rendait à son travail, comme d'habitude. Ses fragiles habitudes détruites en un souffle.
Celui d'une bombe.
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23 décembre 2004 4 23 /12 /décembre /2004 11:00

J'avance lentement, tête baissée. Le temps est tel que je l'avais prévu. Mes bottes s'enfoncent un peu quand j'avance. J'essaye d'éviter les flaques, et n'y arrive qu'à moitié.

 

Je n'ai plus jamais connu ce chemin autrement que boueux, depuis ... et ce ciel, qui déjà annonce le déluge que j'aurai à subir bientôt ... comme chaque fois que mes pas reviennent se poser dans mes pas d'alors

 

Je sais, vous ne croyez pas aux malédictions.

A vrai dire moi non plus, mais pour parler de ces choses-là, il faut bien une dose d'irrationnel, sinon ça serait simplement ... glauque.

 

3 ans que je n'étais pas revenu. La maison est toujours là, au bout, derrière la colline. Inchangée. L'ambiance y est pareillement irrespirable qu'alors. Sauf qu'il n'y a, bien sûr, plus ce climat d'attente angoissée. Toutes les questions, même celles qui n'étaient pas posées, ont trouvé réponse claire et brutale en ce jour de décembre, il y a 40 ans.

 
 

J'étais encore un jeune homme à l'époque. Je venais de finir mes études de droit. La ville m'attirait, inexorablement, mais le sujet de mon départ était tabou. Il fallait que je comprenne, bien sûr, c'était dur pour mon père, il avait toujours cru que je prendrais sa suite. Ca se faisait encore, à l'époque, les métiers de pères en fils. Sauf que jamais je ne me suis imaginé cordonnier. Mais ça, bien sûr, mon père ne voulait pas le comprendre.

Nous nous apprêtions comme chaque année à fêter noël. Pour ne pas brusquer les choses, pour ménager mon père, j'avais choisi cette année-là de me consacrer à résoudre certains problèmes juridiques de villageois, ainsi qu'à la rédaction d'articles pour diverses revues. Ca m'occupait. Puis j'étais là la plupart du temps. Rien à plaider, dans un endroit perdu comme celui-ci. Des problèmes de voisinage à résoudre à l'amiable. Des testaments à refaire. Rien de très passionnant. Rien qui me prenne plus de deux heures par jour. 3 ou 4 pour mes articles. Le reste du temps je pouvais aider mon père. Les apparences étaient sauves.

Le feu couvait néanmoins mais tout le monde feignait de l'ignorer.

Maman, comme à tous les noel, étaient aux fourneaux une semaine avant. Il faut dire que réunir la famille n'était pas une mince affaire. Outre mes 5 frères et 4 soeurs, on attendait les 13 cousins, les grands parents, les oncles, tantes. La TRES grande famille.

Toute à sa tâche, elle chantonnait doucement. Pas tellement que son humeur fut à la fête. Ses cheveux, comme souvent non attachés, lui mangeaient les deux joues en entier. Mais elle ne pouvait rien me cacher. Sa façon de marcher un peu voutée, son regard absent ... tout reflétait la même réalité, mais il était hors de question d'en parler avec elle. Ca aussi, c'était tabou. Comme mon départ.


Au vrai je n'étais pas si pressé de partir, n'ayant pas vraiment envie de les laisser seuls, maintenant que tous les autres avaient leur vie, maintenant que j'étais le dernier rempart.

D'ailleurs, il faut que je rende justice à mon père. Ca n'a jamais été un imbécile, et il savait très bien que je n'avais aucun donc pour la cordonnerie. Non, sa volonté de me voir rester tenait surtout à quelques démons intérieurs que j'avais appris avec le temps à juguler d'un regard. Très noir, le regard. A l'occasion d'un coup de poing ou deux. Il n'osait pas trop se risquer à insister, depuis qu'il avait réalisé à l'adolescence que j'étais plus fort que lui.

Toujours est-il que ses démons, cette année-là, étaient particulièrement puissants. Et je perdais de mon influence, je le sentais bien. Il savait très bien que je ne serais pas là éternellement, malgré sa volonté, malgré mes hésitations. A sa façon, il me testait. Oui, aussi monstrueux que ce soit, il y avait aussi une dimension de jeu pervers dans sa façon de la battre devant moi. Comme pour me défier d'être encore le fils de la famille, de tenir ma place. D'être ce que mes autres frères avaient refusés tôt de continuer à être. Pourtant, tous ensemble, nous aurions pu.

Mes soeurs n'étaient, elles, « pas concernées » à les entendre. Elles reniaient les deux en bloc, prétendant que ma mère, à sa façon également perverse, y trouvait son compte.

En l'entendant chantonner ce matin-là j'avoue m'être posé la question. Et j'ai failli partir, comme ça, à une semaine de noël.

Ca n'aurait probablement rien changé.



La journée s'était donc passée le plus « normalement » possible. Mon père travaillait, ma mère chantonnait derrière ses fourneaux, le regard dans le vide. J'avais bien essayé de lui faire la conversation, mais c'était peine perdue dans ces cas-là.

J'avais passé le plus clair de mon temps dans des revues de droit, à me documenter pour un article.
Le soir était tombé sans que je m'en rende compte.

Il était en retard pour rentrer. Un regard entre ma mère et moi. Un seul. Pas besoin de plus.

On l'entendit, jurant et vociférant, bien avant de le voir arriver sur le chemin. Evidemment complètement ivre.

Le repas du soir était prêt, la table mise, nous avions vérifié les moindres détails, pour que rien ne dérape.
Mais bien sûr, cela ne suffit pas.

Le « jeu » reprit ses droits. Avec toujours les mêmes règles absurdes. Lui cruellement injuste, de plus en plus menaçant. Je connaissais le cycle par coeur. Mais, cette fois, j'avais décidé que je ne laisserais pas continuer, que je ne me contenterais pas de m'interposer comme chaque fois. Non.
Cette fois, je pris le fusil.

Je me rappelerai toujours le regard de bête fauve de mon père quand le premier coup de feu résonna, J'avais tiré dans le plafond. Mon regard du le dissuader de tenter quoi que ce soit, car c'était le regard d'une bête traquée.

J'ai vraiment cru que ça suffirait. Vraiment.
On ne voit que ce qu'on veut voir.



15 minutes plus tard tout était rentré dans l'ordre, nous mangions à peu près normalement. Vous vous demanderez sans doute quelle famille de fous je vous décris là. Mais si vous l'aviez vécu, vous sauriez que ces êtres, dont moi, s'aimaient profondément, au delà de tout ...

Donc nous mangions, riant même par moments ... L'alcool n'avait jamais coupé l'appétit de mon père, ni coupé sa drôlerie quand il racontait ses histoires avec ses clients.
Dommage qu'il aie eu dans son caractère cet autre aspect, si violent.

Toujours est-il que, un instant, je me levai pour aller chercher un peu de pain dans la cuisine.

Il n'attendait que ça.

A mon retour, je le vis, fusil braqué, tantôt vers ma mère, tantôt vers moi. Pas un cri cette fois. Pas un mot. De nouveau le regard de grand fauve. Mais cette fois, il était en chasse.
Et là, il m'a vraiment fait peur.




Je ne dirai pas que je n'ai rien tenté. En vrai je ne me rappelle plus l'enchaînement exact des évènements. Dans des cas de ce genre, il paraît que le temps devient trop variable pour pouvoir être maitrisé. C'est en tout cas ce dont mon psy a tenté pendant des années de me convaincre.

En vain.

Impossible donc de me rappeler ce que je fis alors. Juste que ça ne fut pas vraiment efficace. Mes souvenirs se précisent au delà du 2ème coup de feu, quand après qu'il ait abattu ma mère, je me jetai au sol et il me rata.
D'un bond, je me relevai et me jetai sur lui. Dans sa précipitation, il avait enraillé le fusil. Ce fut la chance de ma vie.

J'arrivai à le désarmer, le fusil vola sur plusieurs mètres.

Je me rappelle de l'odeur de poudre. Je me rappelle des coups de poings donnés et reçus. Je me rappelle que pour une fois, mon père avait le dessus, malgré l'alcool, malgré ma rage. Parce qu'il y avait ma mère, là, par terre. Parce que je ne voulais pas qu'elle soit morte. J'étais moralement détruit, il le savait. Tout dans son attitude proclamait que cette fois il m'avait bien eu, qu'il allait me mater.

Au vrai quand je tombai et que je le vis sortir son couteau, je crus bien que ma dernière heure était venue.

Et puis il y eut le dernier coup de feu.




J'ai vraiment vu ma mère l'arme en main. Je le jure. J'emporterai cette image dans ma tombe. Les coups reçus, et ma chute, m'avaient passablement engourdis, et j'allais sombrer dans un quasi coma de plusieurs heures, avant de me réveiller à l'hopital. Fracture du crâne. Mais je suis vraiment sûr d'avoir vu ma mère debout, l'arme en main.

Je n'ai donc pas voulu le croire quand on m'annonça qu'elle avait été tuée sur le coup.

La version officielle, c'est que je suis tombé juste à coté du fusil. Que je l'ai ramassé et j'ai fait feu, avant de m'évanouir. Mais le fusil a été retrouvé à plusieurs mètres, là où je l'avais envoyé, en direction de ma mère.


Qu'il n'y aie pas trace de ses empreintes sur l'arme restera pour moi éternellement un mystère




Je repense à ça, sur le chemin du retour vers le village. J'ai voulu faire ce chemin à pied, pour me souvenir.

La première fois que je suis revenu, il y a 40 ans, pour reprendre mes affaires, il avait plu. C'est la même boue aujourd'hui. C'est la même chaque fois. Cette boue que la balle a sorti de la tête de mon père et qui se déverse maintenant chaque fois que quelqu'un approche trop prêt de SA maison, dont il était si fier ...

40 ans et je suis le seul à vouloir me souvenir. Je n'ai que peu revu mes frères et soeurs. Ils ont tous continué leur vie en ignorant les évènements, ils avaient choisi au vrai de les fuir très tôt.

Moi j'étais celui qui les forçaient à regarder leur fuite, leur lâcheté, en face. Et puis j'ai fait une belle carrière d'avocat, spécialisé notamment dans les violences conjugales. Ca n'aidait pas. Leur parler de mon métier, c'était leur reparler de maman, et ils ne le souhaitaient pas.

Seule Lucie, ma soeur ainée, s'est rapprochée de moi.
Ce ne fut pas simple, ni « heureux ».

Il y a un an, elle fit appel à mes services.
Je la fis rire en lui disant que ça faisait bien longtemps que je n'avais pas tenu un fusil.

Depuis nous nous voyons presque tous les jours. Elle est tout ce qu'il me reste de ce jour-là, même si elle était loin. Parce que ce jour m'a fait tel que je suis, parce que j'ai ainsi pu l'aider.




Arrivé à ma voiture, je me retourne une dernière fois vers le chemin.

Lucie m'a dit que la prochaine fois elle viendrait avec moi. Je ne sais pas si elle est prête à affronter la boue.

On verra.

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