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9 septembre 2007 7 09 /09 /septembre /2007 12:41
#006 Gazou (lien non spécifié)
s'accorder, musique, vie , authentique, oser, revenir à soi, se régaler, merveille, amour, délicatesse

Ce texte fait partie du recueil "Braises" (projet "logorallyes").
L'ensemble des listes reçues dans le cadre du projet, et ce que j'en ai fait jusqu'ici, est consultable ici.



Marc n'avait jamais su faire semblant. Une vie qui ne soit pas authentique, avec de vrais partages, de l'amour quel qu'en soit le degré, des âmes qui s'accordent sur les mêmes notes, la même musique universelle de l'humain, écoute, compréhension, reconnaissance, lui paraissait vaine.
Il ne cachait rien de ses émotions, et savait lire à la perfection celle des autres dans les regards, les voix, sur les visages, dans les attitudes. Il pensait que l'écoute ne s'arrête pas aux mots, que l'on peut tout se dire de tellement de manières, il suffit d'être attentif...

Ce soir, Marc aurait voulu pourtant pouvoir se taire par tous les pores de sa peau, ne plus faire le moindre geste, chasser la moindre expression, éteindre ses yeux. Ne pas montrer à Annie qu'il n'en pouvait plus de cette existence, qu'elle reparte en paix de cette visite amicale. Marc haïssait plus que tout déranger, être un poids, faire perdre leur temps à des gens qui avaient infiniment mieux à faire. On lui disait souvent qu'il fallait qu'il ose aller plus vers les autres, accepter d'être leur égal, pas inférieur, qu'il n'avait pas à se cacher, à se retrancher en lui. Que souvent le plus court chemin pour revenir à soi, quand tout semble s'effondrer autour, passe quand même par les autres. La solitude n'est pleine que d'elle-même, il ne le niait pas. Mais Marc avait trop de délicatesse dans ses rapports avec les rares personnes qui l'entouraient pour tenter ce pas, faire peser son fardeau.

Quand il fermait les yeux, Marc s'imaginait le monde comme un immense lac, paisible, au milieu d'une forêt millénaire. La quiétude du lieu était infinie, et l'ensemble était une vraie merveille. Il aurait voulu laisser tous ses sens se régaler de cette vision... mais des sons répétés, insistants, venaient bien vite gâcher la vision.

Sur la rive, il y avait des silhouettes qu'il distinguait mal, qui lançait des cailloux vers le lac... il y avait des milliers de lanceurs, peut-être des millions... quand il s'approchait un peu, le vacarme était insupportable, de ces pierres lancées dans leur course folle, ricochant une fois, deux, dix, mille, faisant des ronds dans l'eau avant de couler. Le lac avait à peine le temps de retrouver le repos, les cercles n'avaient même pas fini de disparaître, que d'autres cailloux déjà venaient troubler la surface ainsi perpétuellement violée de cet éden.

Souvent, deux cailloux ou plus venaient se télescoper, précipitant leur descente vers les profondeurs du lac. Les lanceurs semblaient heureux de ces hasards qu'ils voyaient comme une chance. Marc ne comprenait pas quel était le but, mais ses sensations, peu à peu, commençaient à lui apporter les réponses.

Soudain, une silhouette se retournait vers lui, puis deux, des centaines... Il sentait alors le mouvement s'emparer de lui... il était un caillou lancé vers le milieu de ce lac, vers là où nous allons tous, la mort.

A chaque ricochet, il craignait de couler, puis reprenait espoir à ce nouveau sursis. A chaque autre pierre vite croisée, il se prenait à rêver faire plus de chemin avec une, peut-être...
Puis il entrait en collision avec une pierre, au sommet de sa trajectoire de rebond... elle tombait et coulait à pic, malgré toute sa volonté de la sauver. Puis il replongeait vers le lac... et ricochait encore. Avant d'entrer en collision à nouveau, encore et encore et encore.

Marc sentait que dans le grand plan qui régissait ce lieu, il était un destructeur. Il aurait déjà du couler lui aussi, après un choc, mais il ricochait toujours, continuant sa course folle, certes de moins en moins vite, mais causant toujours autant de dégâts, n'ayant jamais le bonheur de couler lui aussi avec cette pierre dont il avait croisé la trajectoire. Il sentait pourtant que c'était là le seul bonheur possible, l'union totale jusqu'à la fin, la paix d'être ensemble, là, au fond. Couler n'était pas la mort, pas tout de suite, si l'on n'était pas seul pour le faire. Mais malheur à ceux qui entraient dans ses eaux avec leur solitude... malheur à ceux qui ne savaient pas construire, donner un sens à ces rencontres...

Il se sentait envahi par un désespoir intense devant les ravages qu'il causait, les existences qu'il abrégeait, et le vide croissant, l'immense froid, là, au fond de son âme... C'était uniquement la faute du lanceur, tentait-il de se dire... mais était-ce bien vrai ?

Arrivait toujours le moment où il prenait conscience, soudain redevenu humain au milieu de ce lac, et regardant vers la rive, qu'il était aussi le lanceur. Et que les autres s'éloignaient de plus en plus de lui, craignant ses tirs. Alors le désespoir explosait, et il lui fallait rouvrir les yeux avant que de nouvelles images, plus proches de l'enfer, ne viennent hanter son esprit déchiré.


Ce soir, Marc avait fermé les yeux à nouveau, revu tout ça encore, et rouvert les yeux un peu trop tard. C'est le regard noyé de larmes qu'il avait du aller accueillir Annie, qui ne vit rien. Dans l'intervalle, il avait épongé ce qu'il avait pu, par politesse, pour ne pas déranger...

Elle ne vit rien, mais les minutes passant, elle sentit le trouble de son ami. Elle ne le connaissait pas depuis longtemps, mais pensait souvent qu'ils étaient trop pareils, qu'ils ne pouvaient rien se cacher.
Elle insista encore et encore, jusqu'à ce qu'il finisse par s'ouvrir à elle. Il ne voulait plus continuer à ricocher ainsi, rejeté par le lac autant que par les autres, dont il ruinait la vie quand il essayait d'être plus proche...

Le prenant dans ses bras, Annie pleura avec lui, ne sachant comment apaiser une douleur aussi forte.

Se faisant, elle coula avec lui. Et quand les larmes s'apaisèrent enfin, se regardant, ils comprirent qu'en effet ce n'était pas la mort, et que le bonheur était là.

Il fallait juste ouvrir son coeur pour cesser de ricocher sans fin...
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commentaires

K
En ce qui me concerne je ne suis pas certain - et c'est un euphémisme ! [moi aussi je connais des mots qui en jettent] - que nous n'ayons qu'une place et une seule dans l'existence et/ou le monde qui nous entoure.Il y a des étapes où existe la destinée(le destin) et aussi des étapes que nous nous sommes donnés les moyens de les atteindre.Quant aux ricochets de la vie, je me refuse à crorie que nous ne sommes que de simples galets rebondissant plus ou moins selon le "lanceur". Si je devais en être un alors je ne pourrais pa sm'empêcher de couler sur l'heure, rien que pour emm... le lanceur !A part ça c'est très bien écrit comme souvent.Ah oui... Toi aussi t'es un torturé de la tête :0002:
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F
héhé oui ;-)Merci pour ton commentaire :-)Si le lanceur était vraiment qqun d'autre, moi aussi je me laisserais couler, à pic. Esprit de contradiction ;-)A part ça, le lanceur, comme je l'évoque (p-e trop vite) à un endroit de mon texte, c'est aussi l'individu lui-même... il se lance dans la direction qu'il veut, et sans doute peut-il se relancer (sous la forme d'un nouveau galet, et donc une "nouvelle" vie) s'il va trop tôt se poser au fond, dans quelque chose qui ne lui correspond pas... mais une fois une trajectoire choisie, il en subit les conséquences (collisions, solitude éventuelle) jusqu'au bout... et tout dépend après s'il aura encore la force (morale) de (se) relancer  (lassitude, désespoir, ...)
C
Ce texte est très fort, véritable mise en abime... La métaphore que tu as choisie, encore une fois est très interessante.Il est vrai que pour tout le monde, la vie est tellement faite de ricochets qui nous envoies sur les tourbillons de l'existence au gré des différents ricochets et de leurs conséquences. Après cette lecture, je reste pensive et songe aux différents rebondissements de ma vie...Merci
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F
merci à toi de me partager tes réflexions... je vois que je ne suis pas seul à avoir cette vision (que j'ai prêtée pour l'occasion à mon personnage) et ça me rassure un peu...
M
Bonjour, désolée, j'ai un train de retard... j'étais déjà repassée pourtant... Et il n'est pas facile à appréhender ce texte... Ce qui explique peut-être les réactions. Pas immédiatement identifiable comme du vécu, comme on a tendance à faire quand on veut "se décharger" (c'est ce que je fais et d'autres aussi à ce que j'ai vu).Donc très beau texte, très imagé, sur la difficulté de trouver sa place et la "complexitude" (ça éxiste ça ?) des relations humaines...  Suis pourtant championne dans le domaine. Mais je commence à me demander... S'il y a ici quelqu'un qui gère tout cela facilement?...Si oui, qu'il nous le fasse savoir !
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F
Merci pour ce commentaire, et tes compliments.non je sais qu'il n'est pas facile... tout est dans l'image du lac, peut-être difficile à suivre, peut-être un peu embrouillée aussi... et en me relisant je constate que j'ai semé des pistes sans les expliquer tout à fait, ce qui laisse une bonne dose de brouillard sur l'ensemble... Je ne sais pas si "complexitude" (Ségolène, sort de ce corps ! lol) existe, mais je ne pense pas qu'il y ait dans les parages quelqu'un qui ne la ressente pas... c'est assez universel (en tout cas très répandu dans nos sociétés occidentales), d'en passer par là. Certains ont plus de chance que d'autres mais personne n'y échappe complètement...
C
Ce n'est pas à croire, c'est une réalité ! ;-)
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F
dommage. J'avais besoin d'extérioriser certaines choses, d'en discuter avec les commentateurs. Je ne pensais pas obtenir cette réaction, elle me frustre. Même si les commentaires reçus sont flatteurs...
C
Superbe !   
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F
à croire que je vous ai tous laissés sans voix...